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LETTRE XXIX

À M. DE NEUILLY


Séjour à Naples.
Naples, 14 novembre.


Vous savez, mon cher Neuilly, comment je me suis déterminé à dérober un petit moment aux affaires qui me rappellent en France, pour faire une escapade à Naples, toujours courant, et il faut bien courir malgré soi. Ce sont cent vingt grandes lieues, aller et venir ; et sur la route, presque toujours détestable, personnellement on ne trouve ni pain, ni matelas, mais bien un grand lambeau de la via Appia, long de plus de quarante milles, et plus digne d’admiration que tout ce que l’on pourroit voir au monde, puisque le bien public en a été le motif. Naples mérite plus par ses accessoires que par elle-même ; sa situation est ce qu’il y a de plus beau, quoique inférieure, aussi bien que l’aspect, à celle de Gênes. Il n’y a pas un bon morceau d’architecture, des fontaines mesquines, des rues droites à la vérité, mais étroites et sales, des églises fort vantées et non vantables, ornées sans goût et riches sans agrément . Aujourd’hui que j’ai entrevu Rome et le grand goût qui y règne, je deviens beaucoup plus difficile et moins louangeur que je n’étois ci-devant. Le palais du roi est la seule pièce qui ait vraiment du mérite. Bel édifice en dehors, et ajustements qui y répondent au-dedans. Si mon journal vivoit encore, que de détails et d’exclamations j’aurois faits sur les admirables tableaux de la maison Farnese qu’on y a transportés ! mais ces barbares Espagnols, que je regarde comme les Goths modernes, non contents de les avoir déchirés en les arrachant du palais de Parme, les ont laissés pendant trois ans sur un escalier borgne où tout le monde alloit pisser. Oui, Monsieur, on pissoit contre le Guide et contre le Corrège :


Jugez de ma douleur à ce récit funeste.