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De dire par quelle nation cette ville est habitée, ce ne seroit pas chose aisée à démêler ; il est plus court de dire qu’elle l’est par toutes sortes de nations d’Europe et d’Asie ; aussi les rues semblent-elles une vraie foire de masques et le langage celui de la tour de Babel ; cependant la langue françoise est la vulgaire, ou du moins si commune qu’elle peut passer pour telle. La ville est extrêmement peuplée et libre ; chaque nation a l’exercice de sa religion. Je ne vous parle ni de la synagogue, ni de l’église des Arméniens qui n’a rien de singulier que des inscriptions de tombes, écrites de façon qu’il faudroit être pis qu’un démon pour les lire ; mais l’église grecque a quelque chose dans sa forme qui mérite de s’y arrêter. Le chœur est entièrement séparé et fermé ; on ne le voit qu’à travers les jalousies des trois portes. La nef est faite non comme celle de nos églises, mais tout précisément comme un chapitre de moines, sans autel, chapelles, ni autres ornements quelconques, que quelques méchantes peintures à la grecque et une tribune dans le haut.


Outre ses fortifications, Livourne a plusieurs châteaux qui donnent, les uns sur le port, les autres sur la place, laquelle malgré cela est, à ce qu’on prétend, plus forte en apparence qu’en réalité.


Le port est divisé en trois parties ; les deux intérieures, qu’on appelle communément la Darse, sont pour ainsi dire cachées dans les terres et séparées de la troisième par un long môle sur lequel sont construits les magasins du Grand-Duc. La première de ces deux parties contient les galères ; je n’y en vis que trois ; c’est sur les bords de la seconde qu’est la statue de Ferdinand de Médicis, flanquée de ces belles statues de bronze que vous connaissez et qu’on nomme les Quatre Esclaves ; l’ouvrage est de Pierre Tacca. La rade et le vrai port étoient fort remplis de vaisseaux marchands. L’ouverture de ce port me parut beaucoup trop large el fort exposée à la tramontane. Il est fermé d’un côté par le môle ci-dessus, et de l’autre par une longue jetée au bout de laquelle est un petit fort ’ au-dessous d’un fanal. Pour rompre les coups de la mer et empêcher qu’elle n’endommage la jetée, on a amoncelé au-devant plus de quartiers de rochers que n’en lança jamais Briarée. En un mot, ce port et toute cette ville doivent avoir coûté des sommes immen.ses. Je ne m’é