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qu’ils ont pour eux, si ce n’est la haine que les gens de Milan portent aux Piémontais. Dans le temps de la dernière guerre, les François étoient reçus à bras ouverts et les Piémontais exclus de partout. De même, à Florence, nous avons accès dans toutes les maisons, et les Lorrains n’entrent nulle part ; enfin je me suis aperçu que les Florentins ne vivent que dans l’espérance d’avoir le gendre du Roi pour Grand-Duc (1) ; et même ils s’étonnent fort que le roi n’ait pas déjà fait ce cadeau à sa fille, sans trop s’embarrasser du dédommagement qu’on pourroit donner au duc de Lorraine, dont ils n’ont pas les intérêts fort à cœur. Tl est vrai que les Lorrains les ont maltraités, et qui pis est, méprisés. M. de Raigecourt, de Lorraine, qui a tout pouvoir de la part de son maître, est homme d’esprit et a du talent, on en convient, mais on assure qu’il fait peu de cas des ménagements qui font goûter une domination nouvelle. On diroit que les Lorrains ne regardent la Toscane que comme une terre de passage, où il faut prendre tout ce qu’on pourra, sans se soucier de l’avenir.


Pour un pays qui a eu ses souvenirs propres, distribuant aux nationaux les grâces et les dignités, et dépensant, dans l’État même, les revenus de l’Etat, il n’y a rien de si dur que de devenir province étrangère. Le goût dominant de la nation seroit pour un prince de la branche d’Espagne. Ils ont vu don Carlos arriver en qualité de successeur, répandre à pleines mains l’argent du Pérou que lui fournissoit madame Farnèse, et ne rien demander à personne, parce qu’alors il n’étoit pas en position de rien exiger. Ce premier début leur a fait quelque illusion ; mais si don Carlos fût resté en Toscane, les sujets auroient payé à leur tour comme de raison. Il vient de se répandre ici un bruit sans fondement, c’est qu’un gros corps de troupes françaises marchoit pour passer les Alpes. Làdessus le marquis m’a demandé tout haut ce qu’on m’écrivoit de France à ce sujet, et si ces troupes ne seroient pas destinées à assurer la succession des Médicis à l’rnfant don Philippe. Cependant un homme de beaucoup d’esprit me disoit l’autre jour « qu’il préféroit encore les

[l ) L’infant don Philippe, depuis duc de Parme, fils du roi Philippe V.