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de cartisanes d’or, tout cet appareil singulier d’une petite Rome égarée aux bords du Rhône. Ah ! de ce côté des Alpes, les choses ont un peu changé depuis cent ans ! Mais dès qu’on gravit le chemin de la Corniche, on s’aperçoit vite que De Brosses, en Italie, est à peu près notre contemporain. Sans doute Gènes n’appartient pas encore au Piémont, sans doute les Lorrains régnent à Florence, et les Espagnols à Naples ; mais les monuments, mais les paysages, et les hommes et les mœurs, tout cela gardera longtemps le même caractère. Quelques traits seulement nous paraissent étranges aujourd’hui et ajoutent à la réalité je ne sais quoi de fantastique ; par exemple, cet abbé à talons rouges, qui, dans une église de Gênes, et pendant la messe, au moment de la communion, joue avec la même habileté de la serinette et de l’éventail ; ou bien, ces religieuses de Venise, drapées comme des tragédiennes, qui assistent les épaules nues et les bras nus aux offices divins ; ou bien encore ces femmes érudites de Milan, la signera Agnesi, la signera Manzoni, la comtesse Clélie Borromée, qui en remontreraient pour les sciences, les langues et l’instruction encyclopédique à un Pic de la Mirandole doublé d’Humboldt. Il n’est pas probable non plus qu’un voyageur de notre temps ait la bonne fortune d’observer et de décrire un conclave pareil à celui de 1731. Quelle merveilleuse comédie, chez De Brosses, que l’élection de Benoît XIV ! Ah ! les bons tours de gibecière du cardinal camerlingue, Annibal Albani ! et que le rideau tombe galamment sur ce mot du futur pontife : « Se volete un buon cogl… pigliate mi. » Rien n’est forcé de ton dans la description ou l’appréciation des personnages. De Brosses ne déclame jamais ; rarement il attaque, et son ironie voltigeante effleure toutes choses avec la légèreté d’une ariette italienne au début d’un opéra-buffa. Il se moque sans cesse des gens avec ce suprême bon goût qui lui fait dire des soirées de Florence :

« J’aime fort les assemblées de huit cents personnes. Quand on est davantage, c’est cohue ! »

Dans un pays où le peintre le plus médiocre s’appelle un pit-