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instruments et des livres de musique à ses pieds ; elle les a laissés tomber ; et le concert céleste qu’elle entend lui a fait aussitôt perdre le goût de la musique d’ici-bas. Cette pensée est très-ingénieuse, et tout le détail des figures est traité comme sait le faire cet incomparable peintre.


LETTRE XXIII

À M. DE BLANCEY


Route de Bologne à Florence.
3 octobre 1739.


Nous nous mîmes en marche le 19 septembre, fîmes cinquante-cinq milles et arrivâmes le même jour à Florence. Quoique cela ne fasse qu’environ vingt-deux lieues, on peut dire, qu’à cause de la difficulté des chemins, c’est une journée de poste des plus fortes. Il faut sans cesse grimper ou descendre les Apennins. Les superlatifs italiens s’étoient épuisés à nous en faire un vilain portrait ; mais en vérité c’est une calomnie. Je vous assure, que tous ceux que l’on trouve tant qu’on chemine sur l’État du Pape, sont de bons petits diables d’Apennins, d’un commerce fort aisé. À la vérité, ceux de Toscane sont plus difficiles à vivre. À les voir de loin si bien élevés, je leur aurois cru plus d’éducation qu’ils n’en ont. Ils sont rustiques et sauvages au possible. La petite ville de Firenzuola, qu’on trouve en route, se ressent de leur compagnie ; elle est fort maussade, et la vallée où elle est située, est sèche et stérile. On passe ensuite le lieu nommé Pietra Mala, dont les rochers, à force d’être pelés ou calcinés, boivent la lumière du soleil et font une espèce de phosphore ; mais c’est terriblement exagérer que dédire, comme Misson, qu’ils jettent une flamme haute et claire comme un feu de fagots. Après eux se trouve le mont Giogo, le plus haut des Apennins de ce canton. La descente en est longue et raide à l’excès ; c’est le plus mauvais endroit de la route, et cependant ce n’est qu’une