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n’est pas dans le premier rang de ceux de Raphaël. Cependant j’ai remarqué avec surprise parmi plusieurs copies qui en ont été faites parlesCarraches et par le Guide, qu’il n’y en a aucune, quoique peinte dans le meilleur temps de ces peintres, qui ne soit restée tout-à-fait au-dessous de l’original. J’ai ouï raconter que Raphaël avoitfait le tableau à la prière de Francia qui le lui avoit demandé, et que Francia, qui se croyoit bon peintre, fut si saisi à la vue de cet ouvrage, qu’il en mourut peu après de chagrin. Cela est fort, mais en honneur et en conscience, il ne pouvoit moins faire, vu l’énorme distance qu’il y a de Raphaël à lui. Plus on regarde la Sainte Cécile de Raphaël, plus on l’admire ; il faut même la regarder longtemps pour en sentir tout le mérite ; la pensée de ce tableau étant extrêmement fine, ne frappe pas d’abord ; d’ailleurs l’ordonnance de la partie inférieure du tableau n’est pas fortbonne.Ony voit sainte Cécile, saint Jean, saint Paul, etc. rangés à peu près sur une ligne ; et c’est d’abord une chose déplaisante que de voir ensemble des personnages qui, selon lavérité de l’histoire, ne pouvoient pas se trouver réunis. Les grands peintres d’Italie ont été malheureux de vivro dans un siècle et dans un pays rempli d’une dévotion superstitieuse. Au lieu de leur laisser suivre leur génie, pour traiter l’histoire sacrée et profane, dans de beaux sujets qui leur donnoient lieu de développer tous leurs talents, on les employoit le plus souvent à peindre des saints dans les églises, et même des saints qui n’ont jamais pu se voir ni se connaître ; car telle étoit la dévotion des confréries ou des bigots particuliers, qui vouloient avoir tout à la fois sur la même toile, pour leur chapelle, saint Jean-Baptiste, saint Paul, saint Augustin, saint Charles, saint François, et tout autre à qui ils avoient dévotion ; de sorte que le peintre, au lieu d’avoir la liberté de représenter, dans son tableau, une action de la vie du saint, étoit obligé de se borner à y peindre simplement quatre ou cinq figures froides, qui n’ont ni ne peuvent avoir aucune relation l’une avec l’autre. C’est ce dont on voit dans toutes les églises d’Italie mille exemples déplaisants ; c’est ce qui est arrivé ici à Raphaël. Les figures de ce tableau sont sans action, toutes debout, occupées à écouter un concert d’anges qui a lieu au ciel dans le haut du tableau. Sainte Cécile a divers