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certaines particules explétives peu cardinaliques. Il ressemble en cela, comme en toute autre chose, au feu cardinal Le Camus ; car il est d’ailleurs de mœurs excellentes, fort charitable et fort assidu à ses devoirs d’archevêque.


Mais, le premier et le plus essentiel de tous les devoirs est d’aller trois fois la semaine à l’opéra. Ce n’est pas ici qu’est cet opéra. Vraiment il n’y iroit personne, cela seroit trop bourgeois ; mais, comme il est dans un village à quatre lieues de Bologne, il est du bon air d’y être exact. Dieu sait si les pelits-maîtres ou petites-maîtresses manquent de mettre quatre chevaux de poste sur une berline, et d’y voler, de toutes les villes voisines, comme à un rendez-vous. C’est presque le seul opéra qu’il y ait maintenant en Italie, où l’on n’en fait guère que le carnaval. Pour un opéra de campagne il est assez passable. Ce n’est pas qu’il y ait ni chœurs, ni danses, ni poëme supportable, ni acteurs ; mais la musique italienne a un tel charme qu’elle ne laisse rien à désirer dans le monde, quand on l’entend. Surtout il y a un bouffon et une bouffonne qui jouent une farce dans les entr’actes, d’un naturel et d’une expression comique, qui ne se peuvent ni payer ni imaginer. Il n’est pas vrai qu’on puisse mourir de rire, car à coup sûr j’en serois mort, malgré la douleur que je ressentois de ce que l’épanouissement de ma rate m’empêchoit de sentir, autant que je l’aurois voulu, la musique céleste de cette farce. Elle est de Pergolèse. J’ai acheté sur le pupitre la partition originale, que je veux porter en France. Au reste, les dames se mettent là fort à l’aise, causent, ou pour mieux dire, crient pendant la pièce, d’une loge à celle qui est vis-à-vis, se lèvent en pied, battent des mains, en criant bravo ! bravo ! Pour les hommes, ils sont plus modérés ; quand un acte est fini, et qu’il leur a plu, ils se contentent de hurler jusqu’à ce qu’on le recommence. Après quoi, sur le minuit, quand l’opéra est fini, on s’en retourne chez soi en partie carrée de madame de Bouillon, à moins que l’on n’aime mieux souper ici, avant le retour, dans quelque petit réduit.


Les lanternes d’équipages ne sont point placées comme les nôtres, mais en bandeau sur le front des chevaux ; ce qui me paraît plus commode de toutes façons. — Cepen-