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dépens, l’ombre d’un chagrin personnel dans une misérable question d’intérêt. On a de la peine à comprendre aujourd’hui comment une pareille affaire ne put être réglée à l’amiable, comment Charles De Brosses, si judicieux et si fin, ne voulut ou ne sut pas trouver quelque biais d’accommodement. L’orgueil se mit de la partie. L’esprit et les lumières ne réussirent pas à écarter chez De Brosses les préjugés de robe et d’épée. Qu’était donc, en effet, ce fils de petits bourgeois parisiens pour oser rompre en visière avec un homme qui siégeait sur les fleurs de lis et dont les aïeux avaient combattu à Fornoue ? Les mots de vil coquin, de drôle, de foligot, furent dédaigneusement jetés à l’insolent ; on le menaça de le mener fort loin à la table de marbre ; et cela pour quatorze moules de bois, c’est-à-dire pour douze louis !

Voltaire, cherchant un asile pour sa vieillesse, avait acquis du président De Brosses la propriété viagère du domaine de Tournay. Il se chauffa, sans en avoir le droit, à ce qu’il parait, avec quelques bûches qui devaient être vendues pour le compte du président. Il remania certaines parties du domaine à sa fantaisie, et abusa ainsi de ses droits d’usufruitier. Les dommages furent remboursés d’ailleurs, après sa mort, par madame Denis, son héritière. Eh bien, le dénoûment de cette affaire (c’est notre opinion) aurait dû être réglé d’avance avec madame Denis. On aurait eu, dans tous les cas, un recours contre elle, si elle n’avait pas voulu accepter d’avance un arrangement. Charles De Brosses s’entêta. Voltaire, de son côté, jeta feu et flamme ; il pleura de rage, dit-on, et s’écria en parlant de son adversaire : « Il s’agit de le déshonorer. »

Déshonorer De Brosses ! Mener Voltaire à la table de marbre ! La dispute alla jusque-là, grâce à l’évèque de Belley et au comte de Tournay, frère du président dont les demi-colères originales se tournèrent cette fois en indignes emportements.

M. Th. Foisset trouve fort mauvais que l’auteur de Candide se soit souvenu d’avoir été insulté, le jour où il prit envie à De Brosses d’entrer à l’Académie. Un vieux statut permettait à cha-