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bonheur de cette existence eût été accompli si De Brosses avait réussi à s’asseoir au fauteuil de l’Académie française. Il eut l’imprudence de se quereller avec Voltaire, et Voltaire lui ferma bel et bien les portes de l’Académie,

Qui des deux eut tort ou raison dans cette misérable querelle, si clairement racontée par M. Th. Foisset ? Nous ne trouverions pas grand intérêt à remettre la question sur le tapis ; mais, dans un récent pamphlet intitulé Ménage et finances de Voltaire, on s’est étudié à la dénaturer pour flétrir la mémoire de l’auteur de Candide. Replaçons donc pour un instant les deux adversaires en présence ; c’est d’ailleurs une affaire très-simple, parce que, selon nous, il n’y a qu’à interpréter et point à juger.

Prenons Voltaire tel qu’il est, avec ses petites manies de vieillard malingre et de moribond imaginaire ; manies respectables après tout dans un si grand homme, sans cesse harcelé par la crainte et le besoin de la persécution ; prenons-le dans cette atmosphère d’inquiétudes, de troubles et d’orages, au sein de laquelle il invoque le repos en s’agitant : c’est l’homme du marquis d’Argenson, qui l’a si bien représenté d’un seul coup de pinceau : « Tout nerf et tout feu, sensible aux mouches ! » Son incontestable génie, la grandeur du rôle qu’il a choisi à ses risques et périls, tant de dangers héroïquement et adroitement bravés par une organisation si peureuse, tant de souffrances pour la justice, pour la liberté, pour le progrès, acceptées et subies par une si frêle machine, un dévouement merveilleux aux idées générales triomphant sans relâche des petites misères de l’égoïsme individuel, n’y a-t-il pas là de quoi inspirer le respect ou du moins l’indulgence devant certaines faiblesses de caractère, certains travers d’esprit qui ne sont peut-être que les inévitables défaillances d’un tempérament nerveux ?

Charles De Brosses a manqué de respect à Voltaire ; il n’a pas démêlé que sous le grand homme il y avait un enfant et presque une femmelette à ménager. Loin de savoir gré au président d’avoir traité de si haut un adversaire aussi illustre, nous lui reprocherions volontiers de ne pas lui avoir épargné, même à ses