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mestique au Cardinal-Légat, le prier de ne point faire fermer les portes de la ville. Ainsi, nous fîmes sans obstacle notre entrée dans Ferrare, qui est à quarante-cinq milles de Padoue.

La ville de Ferrare est vaste et spacieuse. Je crois que ce sont les épithètes qui lui conviennent : vaste, car elle est grande et déserte ; spacieuse, car on peut se promener fort à son aise dans de magnifiques rues tirées au cordeau, d’une longueur étonnante, larges à proportion, et où il croît le plus joli foin qu’on puisse voir. C’est dommage que cette ville soit déserte ; elle ne laisse pas que d’être belle ; non pas par ses maisons magnifiques, mais parce qu’il n’y en a point de laides. En général, elles sont toutes bâties de briques et habitées par des chats bleus, du moins ne vîmes-nous autre chose aux fenêtres.

Le palais des Ducs où demeure le Légat, est un gros bâtiment composé de hautes tours carrées, environnées d’un fossé plein d’eau, bien que ce soit au milieu de la ville. La cour est peinte à fresque, presque effacée. C’est là qu’une compagnie d’arlequins, c’est-à-dire de soldats du Pape, vêtus de vert, jaune et rouge, de toutes pièces, monte la garde.

La place est l’endroit de la ville le plus peuplé ; elle est ornée de deux statues de bronze de la maison d’Est, autrefois souveraine de Ferrare.

La cathédrale donne sur la place ; contre l’ordinaire, elle a un vieux vilain portail et un intérieur tout neuf d’assez bonne manière. On l’a rebâtie en-dedans en conservant seulement, je ne sais pourquoi, un fond de chœur de très-mauvais goût. Ce que j’y ai noté de plus remarquable sont : un Martyre de saint Laurent, par le Guerchin et l’épitaphe du savant Giraldi (Lilio Gregorio)[1], qui, par les plaintes amères qu’elle contient contre la fortune, pourroit servir de supplément au livre de Pierius Valerianus, De litteratorum infelicitatibus[2].

La Chartreuse mérite aussi d’être vue ; l’architecture en est bonne, quoique le défaut de collatérale lui fasse tort. Il y a dans le réfectoire un bon tableau des Noces de Cana, par Bononi. Le cloître est très-joli, et les logements des

  1. Érudit et poète latin du XVIe siècle.
  2. Valeriano Bolzani