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très-bien composé, ou tout se rapporte au sujet ; chose rare dans les ordonnances de Paul, qui n’a pas mieux connu l’unité d’action que le costume. Quant aux quatre grands festins de cet auteur, le premier de tous sans contredit est celui des Noces de Cana[1], peint dans le réfectoire de Saint-Georges ; puis celui chez le pharisien, qui étoit ci-devant aux Servites, et qui est à présent à Versailles, dans le grand salon d’Hercule[2] ; puis celui chez le lévite, peint à l’église des saints Jean et Paul ; mais ces deux peuvent aller en concurrence, et enfin, celui que l’on voit ici à Saint-Sébastien, qui est le moindre des quatre. Paul s’est beaucoup copié lui-même dans tous ses ouvrages, mais surtout dans ses quatre festins.

À l’école de la Charité, la Vierge Marie[3] montant les degrés du temple, par le Titien, tableau de la première classe ; avec le saint Pierre, martyr, ils passent pour les deux plus beaux du Titien ; celui-ci est fort distingué pour ses airs de tête et son admirable coloris. Il m’a fait plus de plaisir que le saint Pierre, martyr[4] ; et le saint Laurent des Jésuites m’en a plus fait que l’un et l’autre. Cependant celui-ci, qui est de la seconde manière du Titien, l’emporte de beaucoup par le coloris sur le saint Laurent, qui n’est que de sa troisième manière ; alors son coloris est devenu trop vague et négligé.

Enfin, à San-Giorgio, dans le fond du réfectoire, les Noces de Cana, de Paul Veronese, tableau non seulement de la première classe, mais des premiers de cette classe. On peut le mettre en comparaison avec la bataille de Constantin contre le tyran Maxence, peinte au Vatican, par Raphaël et par Jules Romain, soit pour la grandeur de la composition, soit pour le nombre infini des figures, soit pour l’extrême beauté de l’exécution. Il y a bien plus de feu, plus de dessin, plus de science, plus de fidélité de costume dans la bataille de Constantin ; mais dans celui-ci, quelle richesse ! quel coloris ! quelle harmonie dans les couleurs ! quelle vérité dans les étoffes ! quelle ordon- nance et quelle machine étonnante dans toute la compo-

  1. Fait partie de notre musée du Louvre.
  2. Aujourd’hui au Louvre.
  3. À l’académie des Beaux-Arts à Venise.
  4. Le Saint Pierre est à l’église des saints Jean et Paul.