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jouissances, mais qui fait obstacle peut-être aux grandes amours, qui empêche ces unions puissantes et durables, consacrées et récompensées par la fécondité.

Au collège des Jésuites, Charles passa tout d’abord au rang de merveille. Il étonnait ses maîtres par l’agilité singulière de ses facultés qui se suspendaient à tous les rameaux de l’arbre de science avec la rapidité gracieuse des mouvements enfantins. Auprès de ce phénix de collège, c’étaient de bien petits sires que ses camarades ; Georges-Louis Leclerc, qui devait être Buffon, passait littéralement pour un lourdaud. Charles éclipsait tout dans ses classes ; c’était le grand garçon, malgré sa petite taille qui demeura toujours au-dessous de la moyenne. Quand il vint à passer ses examens pour le grade de bachelier en droit, il fallut l’élever sur un tabouret pour montrer au public le petit prodige. Il avait à peine vingt et un ans qu’on l’admit au parlement, comme conseiller, avec dispense d’âge.

Le voilà dès lors en relation avec la société, avec le monde ; la société de Dijon, le monde de Dijon sans doute, mais ils n’étaient certes pas à dédaigner en ce temps-là. Aujourd’hui que Paris est devenu le centre unique de l’activité intellectuelle, nous n’imaginons pas à quel point était important, sous l’ancien régime, le rôle des capitales de provinces. Je n’ai pas à traiter ici un sujet qui a été largement développé dans un livre très-substantiel de M. Th. Foisset. Il me suffira de remarquer en passant qu’au temps dont je parle, on se montrait fier d’être Dijonnais, comme Huet tirait vanité, au xviie siècle, d’être sorti de Caen, et Ménage, d’Angers. La société de Dijon ne pouvait manquer d’être fort distinguée, avec des éléments comme ceux-ci : un gouverneur prince du sang, et par conséquent une petite cour ; un commandant militaire de grande maison, et par conséquent tout un état-major de jeunes officiers titrés ; puis enfin les grandes familles parlementaires, les grands dignitaires et les bénéficiers indépendants du clergé. Dans la robe comme dans l’église, les nobles loisirs appelaient nécessairement, comme un ornement de luxe et comme un plaisir d’élite, les études litté-