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citadins qui, quoique petits bourgeois, sont de la plus ancienne noblesse ; ce qui vient de ce qu’on… on ferma tout d’un coup le livre d’or, moyennant quoi il n’y a eu que ceux qui étoient inscrits alors et leurs descendants qui ont été nobles. Tous ceux qui avoient négligé de s’y faire incrire furent exclus et n’ont pas aujourd’hui plus de prérogatives que les autres citadins. Ce n’est pas beaucoup dire assurément, car cet ordre est assez mal mené par le gouvernement, et plus encore les gentilshommes de terre ferme. En récompense, le menu peuple est traité avec une extrême douceur ; la raison de ces deux points de politique n’est pas difficile à deviner.

Les nobles portent pour habillement un jupon de taffetas noir qui descend jusqu’aux genoux, et sous lequel on aperçoit souvent une culotte d’indienne, une veste ou pourpoint de même, et une grande robe noire moins plissée que les nôtres. Quelques-uns de ceux qui sont en dignité la portent rouge, d’autres violette. Tous portent sur l’épaule une aune de drap de couleur assortissante, placée dans la vraie position de la serviette d’un maître-d’hôtel, et sont coiffés d’une perruque démesurée, qu’en vérité celle de M. Bernardon n’est plus qu’un toquet. Ils portent à la main une barrette de drap ou de taffetas noir, faite comme nos coiffes de bonnets de nuit. La manche de la robe fait encore une distinction ; plus la dignité est grande, plus la manche est large (et cette manche n’est pas inutile pour mettre la provision de boucherie avec une salade dans le grand bonnet). La manche du Doge, comme de raison, excède le panier d’une femme : elle est de drap d’or, ainsi que la robe. La façon la plus humble de saluer les nobles est d’aller solliciter au Broglio, et de baiser la manche de celui qu’on sollicite. L’art des révérences est encore un grand point : il faut les faire bas, bas ; encore n’en fait-on aucun compte, si la perruque ne traîne pas à terre d’un bon demi-pied. Le manteau est un habillement plus commun encore que la robe. Tout homme qui, par son état, est au-dessus de l’artisan, est moins dispensé de le porter quand il sort, quelque chaud qu’il fasse, que nous ne le sommes de porter une culotte ; mais aussi, comme chez nos femmes qui sont revenues du monde, c’est-à-dire dont le monde est revenu, le manteau de la dévotion couvre tout. Ici le