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par la dévotion. Les confesseurs ont traité avec elles qu’elles s’abstiendroient de l’article essentiel ; moyennant quoi, ils leur font bon marché du reste tout aussi loin qu’il puisse s’étendre, y compris la permission de n’être pas manchottes.

Voilà quel est le train courant de la galanterie, où les étrangers n’ont pas beau jeu. Les nobles ne les admettent guère ni dans leurs maisons ni dans leurs parties. Ils veulent vivre entre eux, et avoir leurs coudées franches, pour parler devant leurs femmes de brigues et de ballotages, articles sur lesquels le tacet s’observe exactement devant l’étranger. Cependant, lorsque deux personnes s’entendent, il n’est pas impossible de faire un coup fourré à la faveur des gondoles, où les dames entrent toujours seules sans surveillants ; c’est un asile sacré. Il est inouï qu’un gondolier de madame se soit laissé gagner par monsieur ; il seroit noyé le lendemain par ses camarades. Cette pratique actuelle des dames a beaucoup diminué les profits des religieuses, qui étoient jadis en possession de la galanterie. Cependant il y en a encore bon nombre qui s’en tirent aujourd’hui avec distinction, je pourrois dire avec émulation ; puisque, actuellement que je vous parle, il y a une furieuse brigue entre trois couvents de la ville, pour savoir lequel aura l’avantage de donner une maîtresse au nouveau nonce qui vient d’arriver. En vérité, ce seroit du côté des religieuses que je me tournerois le plus volontiers, si j’avois un long séjour à faire ici. Toutes celles que j’ai vues à la messe, au travers de la grille, causer tant qu’elle duroit et rire ensemble, m’ont paru jolies au possible et mises de manière à faire bien valoir leur beauté. Elles ont une petite coiffure charmante, un habit simple, mais bien entendu ; presque toujours blanc, qui leur découvre les épaules et la gorge, ni plus ni moins que les habits à la romaine de nos comédiennes.

Pour épuiser l’article du sexe féminin, il convient ici plus qu’ailleurs de vous dire un mot des courtisanes. Elles composent un corps vraiment respectable, par les bons procédés. Il ne faut pas croire encore, comme on le dit, que le nombre en soit si grand que l’on marche dessus ; cela n’a lieu que dans le temps de carnaval, où l’on trouve sous les arcades des Procuraties, autant de femmes couchées que debout ; hors de là leur nombre ne s’étend pas