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nances parlementaires et les bienséances académiques. Le jeune conseiller visait tout naturellement au premier siège du parlement de Dijon, et pour arriver de ce siège au fauteuil de l’Académie, il n’avait qu’à suivre les traces de son illustre compatriote, le président Bouhier. Il fallait pour cela représenter devant le public, tandis que, pour les intimes, on pouvait continuer gaiement à jouer le personnage


Du bon seigneur de Bagnolet,
Très-aimable et très-frivolet.


Eh bien, n’en déplaise aux descendants de notre auteur, c’est précisément le bon seigneur, le très-aimable et très-frivolet Charles de Brosses qui intéresse surtout la postérité. Il importe peu désormais que le spirituel président ait été, dès sa jeunesse, le plus habile commissaire à terrier de la province, qu’il ait foulé aux pieds sa robe de magistrat au moment de l’installation du parlement Maupeou, et qu’il se soit héroïquement résigné à l’exil pour ne pas humilier sa dignité devant le despotisme ministériel. D’autres magistrats, dont le nom s’est perdu, ont repoussé la livrée avec la même hardiesse et supporté l’exil avec la même constance. Il n’est pas bien sûr, au surplus, que, pour avoir donné sans effort cette preuve d’indépendance virile, Charles De Brosses se regardât sérieusement comme un homme de Plutarque. L’exilé partit pour l’Auvergne en chantant ; l’air de mélancolie n’était pas encore à la mode en cas de disgrâce : il suffisait alors d’un joyeux refrain pour consoler d’un malheur qui n’était guère qu’un dépit. La victime se parait coquettement, au lieu de se couvrir de cendre ; elle criait nargue ! à la persécution, et jamais anathème ! Ah ! qu’un peu d’insouciance frivole assaisonne toujours bien l’héroïsme ! c’est la philosophie des esprits distingués. Charles De Brosses est, dès cette époque, l’élégant et libre causeur des Lettres d’Italie ; il mériterait déjà le surnom donné à Voltaire par madame de Saint-Julien : même dans son voyage d’exil, aussi bien que dans ses autres voyages, il prend vivement l’essor des grands caractères aimables ; c’est, dans toute la grâce du mot, un vrai philosophe-papillon.