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surtout les deux chapelles peintes à fresque-, par le Giotto,
si fameux dans le temps du rétablissement de la peinture,
sont une chose curieuse. Ce grand maître, si vanté dans
toutes les histoires, ne seroit pas reçu aujourd'hui à
peindre un jeu de paume. Cependant, à travers son bar-
bouillage, on discerne du génie et du talent. À l'oratoire
de Saint-Antoine, plusieurs morceaux à fresque, du
Titien, très-curieux et assez méchants ; on voit là, non ce
qu'il est, mais ce qu'il sera. Je ne veux parler d'un tableau
de cette chapelle, où un âne renifle sur de l'avoine pour
se mettre à genoux devant le Saint-Sacrement. Laissons
ces pauvretés et n'achevons point ; il est indigne de voir
combien la misérable superstition souille la religion par
ses momeries.
Je viens de l'hôtel-de-ville, autrement dit de la Ragione.
Il y a une grande salle au bout de laquelle est une pierre
où les banqueroutiers vont se déculotter et frapper à cul
nu ; au moyen de ce, voilà leurs dettes payées. On a écrit
sur la pierre : Lapis vituperii. De l'autre côté, vis-à-vis,
est le tombeau de Tite-Live, avec une inscription qui
prouve qu'elle n'a pas été faite pour lui, mais pour
un affranchi de sa fille. Le tombeau est encore plus
apocryphe. Malgré cela, on doit savoir bon gré aux
Padouans d'avoir fait de leur mieux pour célébrer leur
compatriote. Une inscription posée à côté, porte qu'ils ont
accordé un bras de Tite-Live aux instantes prières du roi
Alphonse d'Arragon ; voilà un nouveau genre de reliques.
Ce bras fut depuis, en certaine occasion, la récompense
du poète Sannazaro ; mais, sa famille l'ayant négligé, le
pauvre Tite-Live est demeuré manchot en pure perte.
Son buste est sur une porte de cette salle, et celui
de Paul {i) sur la porte vis-à-vis ; c'est Paulus ad edictum.
Vous jugerez sans peine que je me trouvai saisi de véné-
ration à l'aspect de ce souverain seigneur du Digeste. La
voûte de la salle est peinte par le Giotto, du même goût
de barbouillage dont je vous parlois tout à l'heure.
Le tombeau d'Antenor le Troyen est une autre rêverie
des Padouans. Nous avons découvert par la ressemblance
qu'il a avec celui du roi Pépin à Vérone, et par la struc-
ture singulière, à quatre cornes, de l'un et l'autre, que le
{i) Jurisconsulte du h^ sièclf.