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Je ne me rappelle pas d'avoir vu à Vicence d'autres ta-
bleaux de marque, qu'à Sainte-Couronne une Adoration
des rois, par Paul Veronese, dont toutes les figures en
particulier sont bonnes, et ne font pas un tout bien or-
donné ; en second lieu, le Baptême de Jésus-Christ, par
Jean Bellini, maître du Titien : tableau moins curieux
par lui-même que pour faire sentir la supériorité du disci-
ple, et jusqu'à quel temps le mauvais goût a régné. Ce-
pendant ce Bellini est encore fameux aujourd'hui, parce
qu'il étoit grand dans son siècle ; l'habitude de le louer,
lui et ses semblables, est devenue une espèce de vérité
convenue. Au réfectoire des Servîtes, Jésus-Christ à la
table du pape Grégoire, sous la figure d'un pèlerin, grande
composition de Paul Veronese. On monte à l'église de ces
moines par une centaine de degrés, au bas desquels est
un arc qui en forme l'entrée ; il est construit par le Palla-
dio, et orné de statues.
En parlant de Vicence, il faut toujours revenir à l'ar-
chitecture et à Palladio. Au bout du Campo Marzo, pro-
menade agréable, il a élevé un arc de triomphe à la
manière de l'antique, de ce goût simple qui fait la véri-
table beauté : c'est, si je ne me trompe, son plus beau
morceau. Près de là est le jardin du comte Valmerana.
Je crois que c'est à cause de l'inscription ridiculement
fastueuse qu'il a mise sur la porte, et que vous trouverez
dans tous les voyages, que les relations, même les plus
fades, se sont donné le mot pour dénigrer ce jardin, qui
cependant, quoique déchu de son ancienne beauté, m'a
paru encore actuellement très-agréable. Revenons à Pal-
ladio. Pour faire voir qu'il connaissoit à fond la structure
des théâtres des anciens Romains, il en bâti un petit,
tout-à-fait pareil aux leurs. Ce morceau, qui n'est pas
un des moins curieux de Vicence, est formé en demi
cercle à gradins, terminé par une colonnade dans les in-
terstices de laquelle sont des petites loges et des escaliers
qui montent à une galerie, laquelle fait le couronnement
de l'ouvrage. C'est là la place des spectateurs. Quant à
celle des acteurs, elle est dans une plate-forme au bas
des gradins, et vis-à-vis sont les scènes d'où sortent les
acteurs, posées sur un terrain en talus et en sculptures.
Ces scènes sont faites, non comme les nôtres, mais
comme des rues de ville, aboutissant toutes de différents