Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/126

Cette page n’a pas encore été corrigée

— 100 —


fameux Palladio, le Vitruve de son siècle, étoit natif de Vicence. On prétend qu'ayant reçu quoique mccontento- ment de la noblesse de sa ville, il s'en vengea indirecte- ment en mettant à la mode le goût des façades dont il leur donnoit des dessins magnifiques, qui les ruinèrent tous dans l'exécution. En effet, on ne voit à chaque édifice que façades do toutes sortes de manières, surtout d'ionique (c'étoit son ordre favori), avec tous les combles chargés de statues, trophées et autres embellissements. Ce seroit une ridiculité que de vouloir citer ces maisons, vu la quantité, sauf cependant le palais Montanari et celui des Chiericati qui fait la face d'une petite place de Vicence. Avec cela, non-seulement cette ville n'est pas belle, mais elle m'a paru laide et désagréable. Ces belles maisons, outre qu'elles ont l'air triste, ont pour acolytes de méchantes chaumières qui les défigurent tout-à-fait. Bref, Vicence a l'air pauvre, sale et mal tenu presque partout. Son plus bel endroit est la place où est le palais de la Ragione, c'est-à-dire de la Justice. Le toit est tout de plomb, d'un dessin ovale assez singulier. Ce vaste et singulier ouvrage de Palladio fait un grand ornement à cette place, aussi bien que le palais du Capitaine et le Mont-de-Piété, où l'on fait l'usure pour le secours des pauvres gens. Bien en- tendu, cependant, que ces deux derniers palais sont fort au-dessous du premier, qui, outre sa décoration de mar- bre, a une tour que je crois plus haute que celle de Cré- mone et plus svelte. Le dedans du palais me parut fort médiocre, pour ce que j'en vis, n'ayant pu pénétrer qu'à la première pièce, parce que le Podestat, recevoit actuel- lement une visite de cérémonie de l'évêque. En récom- pense, je vis sa marche qui avoit bien aussi bon air que tout le sénat de ces mercadans de Gênes. La garde des Dalmates ou Albanais précédoit, vêtus précieusement à la grecque, comme des Janissaires. Monseigneur étoit dans un superbe carrosse d'ébène dorée, suivi de deux autres pareils ; le tout attelé de chevaux de la dernière beauté. Les équipages du Podestat étoient verts et galants, conve- nablement à son âge. C'est un joli jeune homme de vingt- quatre ans, enseveli dans une perruque hors de toute me- sure, de toute vraisemblance, et vêtu d'une veste rouge et d'une longue robe noire, comme celle de Mousson Pan- talon,