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d'une quantité de belles figures de femmes, grandes,
grosses, grasses et blanches, telles qu'on les voit dans
les tableaux de Paul Veronese, qui n'a pas manqué d'ori-
ginaux à imiter, les Vénitiennes ayant la réputation d'être
les plus belles femmes de l'Europe.
On n'a rien de mieux à faire, quand on arrive, que
d'aller à la comédie pour se délasser ; c'est ce que nous
fîmes à Vérone. Je ne m'accoutume pas à la modicité du
prix des spectacles. Les premières places ne coûtent pas
dix sous, mais la nation italienne a tellement le goût des
spectacles, que la quantité des gens et du menu peuple
qui y vont, produit l'équivalent et tire les comédiens
d'affaire. Grâce à Dieu, on ne doit pas être en peine de
trouver des places à la comédie de Vérone ; elle se repré-
sente tout au beau milieu de l'ancien amphithéâtre des
Romains, et il n'y a point d'autres places pour les specta-
teurs que de s'asseoir tout uniment à découvert sur les
degrés de l'amphithéâtre ou il y a de quoi placer trente
mille personnes. Il fut plein il y a quelques années lors
d'une fête que l'on donna à madame la duchesse de -
Modène ; ce doit être un beau coup d'œil. Je ne sais
comment ces gens-là faisoient leurs constructions ; mais
j'ai éprouvé que du haut des degrés, bien qu'on soit fort
éloigné des acteurs, on les entend presque comme de
près. Je n'ai jamais vu tant de moines à la procession
qu'il y en avoit à la comédie. Je n'y vis point de Jésuites,
et je m'informai s'ils n'y alloient pas. Un prêtre, placé à
côté de moi, me répondit que, bien qu'ils fussent plus
pharisiens que les autres, ils ne laissoient pas d'y venir
quelquefois. Les dames n'y vont pas beaucoup non plus ;
j'y en ai cependant trouvé tous les jours ; elles sont assises
comme les autres, dans l'arène, au milieu des hommes.
Les pièces des Italiens, quoique essentiellement méchantes
de tout point, ne laissent pas de me réjouir par la quan-
tité d'événements dont elles sont chargées, parles mau-
vaises plaisanteries dont j'ai pris le goût en fréquentant
votre excellence, et par le jeu des acteurs. Les troupes
du pays même, sont, à mon gré, meilleures que celles
qui sont transplantées à Paris et dans nos provinces.
Mais ce qui m'a surpris de plus en plus, quoique je l'aie
vu tous les jours, c'est une jeune danseuse qui s'élève
au moins aussi haut et aussi fort que Javilliers, qui fait