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honorent du nom de superbe canal. Je ne vous entre- tiendrai pas d'une dispute que j'eus avec un colonel hongrois, commandant de la ville, qui, après nous avoir pris pour des capitaines espagnols qui venoient débaucher ses troupes, voyant qu'il s'étoit bien fort trompé, chercha à nous faire une autre querelle d'allemand, dans notre qualité de François, Tant il y a que nous nous quittâmes réciproquement fort mécontents l'un de l'autre, et qu'au sortir de chez lui j'allai voir la cathédrale, dont je ne fus pas plus fort satisfait. Près de là est une haute tour sur laquelle je montai, parce qu'elle | asse pour la plus haute de l'Europe. Je crois que l'on pourroit se contenter de dire qu'elle est la plus haute do la ville ; car il y en a bien d'autres ailleurs qui ne le sont pas moins. Tout ce que je puis faire pour elle est de lui accorder la hauteur des tours Notre-Dame de Paris : il y a quatre cent quatre- vingt-dix-huit marches jusqu'au sommet, au-dessus de la cloche. La vue de là est fort étendue, et n'en est pas plus belle ; le pays qu'on découvre ne paroît qu'une forêt, étant trop couvert d'arbres. Ce qu'il y a de mieux est le cours du Pô, qu'on voit serpenter fort au loin.


Les églises de Saint-Pierre et de Saint-Dominique sont assez belles et assez bien ornées, pour Crémone s'entend ; car toutes ces sortes de choses sont relatives. C'est une observation générale qu'il faut faire sur toutes mes narrations. Je cite telle chose dans un endroit, que je n'aurois garde de rapporter dans un autre, et tel édifice se fait distinguer à Crémone qui ne seroit pas regardé à Gènes. Pour en revenir aux deux églises dont je vous parlois, la première a un buffet d'orgues qui peut passer partout pour beau ; l'autre a au fond du chœur une Adoration, par Panfile Nuvolone, d'un coloris distingué, et vis-à-vis, sur la grande porte, un miracle de saint Dominique, par le même. Dans la croisée de la gauche sont deux bons morceaux d'Antonio Campo.


Les Augustins ont un portail d'architecture à la lom- barde, propre à donner une idée du goût de cette vieille nation. Ils ont aussi un des meilleurs tableaux du Pérugin que je connaisse, vis-à-vis duquel est une chapelle pleine de statues grotesques, mais bien faites, représentant la Passion, par Barberini. Il y a, à ce qu'on me dit, une bibliothèque ; mais les moines étoient au réfectoire, et il