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un beau compliment ; puis nous avons disputé d’abord sur la manière dont l’âme peut être frappée des objets corporels, et les communiquer aux organes du cerveau ; et ensuite sur l’émanation de la lumière et sur les couleurs primitives. Loppin a disserté avec elle sur la transparence des corps et sur les propriétés de certaines courbes géométriques, où je n’ai rien entendu. Il lui parla en français, et elle lui demanda la permission de lui répondre en latin, craignant que les termes d’art ne lui vinssent pas aisément à la bouche en langue françoise. Elle a parlé à merveille sur tous ces sujets, sur lesquels assurément elle n’étoit pas plus prévenue que nous. Elle est fort attachée à la philosophie de Newton, et c’est une chose prodigieuse de voir une personne de son âge entendre si bien des points aussi abstraits. Mais, quelque étonnement que m’ait donné sa doctrine, j’en ai peut-être encore eu davantage de l’entendre parler latin (langue à coup sûr dont elle ne fait que bien rarement usage) avec tant de pureté, d’aisance et de correction, que je puis dire n’avoir j’amais lu de livre latin moderne écrit d’un aussi bon style que ses discours. Après qu’elle eût répondu à Loppin, nous nous levâmes, et la conversation devint générale. Chaque personne lui parloit en la langue de son pays, et elle répondoit à chacun dans leur langue propre. Elle me dit qu’elle étoit très-fâchée que cette visite eût ainsi pris la forme d’une thèse ; qu’elle n’aimoit point du tout parler de pareilles choses en compagnie, où, pour une personne qui en étoit amusée, vingt en étoient ennuyées, et que cela n’étoit bon qu’entre deux ou trois personnes de même goût. Ce discours me parut d’aussi bon sens que les précédents. Je fus très-fâché d’entendre dire qu’elle vouloit se mettre dans un couvent[1] ; ce n’est pas par besoin, car elle fort riche. Après que nous eûmes causé, sa petite sœur joua sur le clavecin, comme Rameau, des pièces de Rameau et d’autres de sa propre composition, et chanta en s’accompagnant.

Faute d’avoir su que le cabinet du comte Mezzabarba, si riche en médailles antiques, avoit été transporté de Milan à Pavie, nous avons séjourné assez inutilement

  1. Après la mort de son père elle se retira, en effet, dans un couvent.