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chose plus agréable ici que toutes les peintures de l’univers ; car on s’épuiseroit en vain le cerveau pour imaginer à quel point les vins de Lombardie sont détestables.


LETTRE X

À M. LE PRÉSIDENT BOUHIER


Milan, 17 juillet.


Je veux vous faire part, mon cher président, d’une espèce de phénomène littéraire dont je viens d’être témoin, et qui m’a paru una cosa più stupenda que le Dôme de Milan, et en même temps j’ai manqué d’être pris sans vert. Je reviens de chez la signora Agnesi, où je vous avois dit hier que je devois aller. On m’a fait entrer dans un grand et bel appartement, où j’ai trouvé trente personnes de toutes les nations de l’Europe, rangées en cercle, et mademoiselle Agnesi assise seule avec sa petite sœur, sur un canapé. C’est une fille de dix-huit à vingt ans, ni laide ni jolie, qui a l’air fort simple et fort doux, On a d’abord apporté force eau glacée, ce qui m’a paru un prélude de bon augure. Je m’attendois, en allant là, que ce n’étoit que pour converser tout ordinairement avec cette demoiselle ; au lieu de cela, le comte Belloni, qui m’y amenoit, a voulu faire une espèce d’action publique ; il a débuté par adresser à cette jeune fille une belle harangue en latin, pour être entendu de tout le monde. Elle lui a répondu fort bien ; après quoi ils se sont mis à disputer en la même langue, sur l’origine des fontaines, et sur les causes du flux et du reflux que quelques-unes ont comme la mer. Elle a parlé comme un ange sur cette matière ; je n’ai rien ouï là-dessus qui m’ait plus satisfait. Cela fait, le comte Belloni m’a prié de disserter de même avec elle sur quel sujet il me plairoit, pourvu que ce fût sur un sujet philosophique ou mathématique. J’ai été fort stupéfait de voir qu’il me falloit haranguer impromptu, et parler pendant une heure en une langue dont j’ai si peu l’usage. Cependant, vaille que vaille, je lui ai fait