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CHARLES D’ORLÉANS.


SONGE EN COMPLAINTE.

     Après le jour qui est fait pour traveil,
Ensuit la nuit pour repos ordonnée ;
Pource, m’avint que chargié de sommeil
Je me trouvay moult fort, une vesprée,
Pour la peine que j’avoye portée
Le jour devant, si fis mon appareil
De me couchier, sitost que le souleil
Je vy retrait et sa clarté mussée.
     Quant couchié fu, de legier m’endormy,
Et en dormant, ainsi que je songoye,
Advis me fu que, devant moy, je vy
Ung vieil homme que point ne congnoissoye ;
Et non pour tant, autretfoiz veu l’avoye,
Ce me sembla, si me trouvay marry
Que j’avoye son nom mis en oubly,
Et, pour honte, parler à lui n’osoye.
     Un peu se teut, et puis m’araisonna.
Disant : « Amy, n’avez vous de moy cure ?
Je suis Aage qui lettres apporta
A Enfance, de par Dame Nature,
Quant lui chargeay que plus la nourriture
N’auroit de vous ; alors vous delivra
A Jeunesse, qui gouverné vous a
Moult longuement, sans raison et mesure.
    Or est ainsi que Raison, qui sur tous
Doit gouverner, a fait tresgrant complainte
A Nature, de Jeunesse et de vous,
Disant qu’avez tous deux fait faulte mainte.
Avisez vous, ce n’est pas chose fainte ;