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VIE DE CHARLES D’ORLÉANS.

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L’Esprit Français possède deux qualités qu’il semble particulièrement chargé de faire valoir dans le concert de l’Esprit Humain. D’autres peuples peuvent cultiver l’intelligence plus profondément ou plus minutieusement ; ils peuvent rendre leurs sentiments avec une poésie plus souple, plus mélodieuse, plus gracieuse, plus colorée, leurs sensations avec une imagination plus variée, plus humoristique, plus ironique, plus réellement observatrice, plus habile ou plus saisissante. Le génie de la France a, par-dessus tout, la Force et la Finesse. Je ne veux pas prouver ici que c’est de la première que naissent sa Simplicité et sa Précision, — les vrais éléments de la force durable, — que c’est de la seconde que vient sa Clarté, — première conséquence de la véritable finesse. — Mais je puis dire que dès le début de notre histoire littéraire, dès que notre langue eut cessé de bégayer, Force et Finesse se montrent de compagnie : le Voyage de Charlemagne, cette raillerie si inattendue, n’est pas bien loin de la chanson de Roland ; chansons de gestes et fabliaux cheminent côte à côte, parfois même en se mêlant ; et la chanson de Beaudoin de Sebourg finit le grand cycle de la croisade. Nous reconnaissons pour grand siècle, non pas celui où il y a eu le plus de puissance créatrice, le plus de poésie, le plus de philosophie, non pas le xiiie ou le xvie ou le xviie, mais celui où la Force a été le plus constamment à côté de la Finesse, où Corneille est en compagnie de Racine,