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LES FLAGELLANTS

Tous les ans, le deux novembre, dans un banquet autrefois rue Corbeau, aujourd’hui rue Curial, ils se réunissent avec mesdames les ensevelisseuses, les fabricantes de couronnes funéraires et les fossoyeurs. On y trinque à la santé des médecins, du choléra, de la fièvre typhoïde, en un mot à toutes les maladies épidémiques.

Ce n’est pas un spectacle banal, et il faut être bien aguerri pour ne pas frissonner au milieu de ces pourvoyeurs de cimetières, à qui la mort donne la vie.

Au dessert, chacun chante la sienne ; il va sans dire que pour les croquemorts la chanson bachique domine ; mesdames les ensevelisseuses roucoulent les romances de Darcier et de Loisa Puget ; les fossoyeurs, qui ont entendu, appuyés sur leurs pelles, tant de discours mensongers, ne chantent pas : ils pérorent.

Au dernier banquet, j’étais assis à côté du doyen des fossoyeurs, le père Sapin, ainsi nommé parce qu’il trouve que la meilleure bière est celle de sapin. Il demanda la parole et raconta ceci :

— Pendant cinq ans, je vis arriver à la même heure, n’importe par quel temps, une jeune femme entièrement vêtue de noir, jolie comme les amours, les bras chargés de gerbes de fleurs rares ; elle s’asseyait silencieusement sur le bord de l’entou-