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Mais les moins délicats et les plus malheureux,
La voyant si maussade et si pleine d’ordure,
Ne voulaient écouter ni retirer chez eux
Une si sale créature.
Elle alla donc bien loin, bien loin, encor plus loin.
Enfin elle arriva dans une métairie,
Où la fermière avait besoin
D’une souillon dont l’industrie
Allât jusqu’à savoir bien laver des torchons
Et nettoyer l’auge aux cochons.
On la mit dans un coin au fond de la cuisine,
Où les valets, insolente vermine,
Ne faisaient que la tirailler,
La contredire et la railler :
Ils ne savaient quelle pièce lui faire,
La harcelant à tout propos ;
Elle était la butte ordinaire
De tous leurs quolibets et de tous leurs bons mots.

Elle avait le dimanche un peu plus de repos ;
Car, ayant du matin fait sa petite affaire,
Elle entrait dans sa chambre, et tenant son huis clos,
Elle se décrassait, puis ouvrait sa cassette,
Mettait proprement sa toilette,
Rangeait dessus ses petits pots
Devant son grand miroir : contente et satisfaite,
De la lune tantôt la robe elle mettait,
Tantôt celle où le feu du soleil éclatait,
Tantôt la belle robe bleue
Que tout l’azur des cieux ne saurait égaler,
Avec ce chagrin seul que leur traînante queue
Sur le plancher trop court ne pouvait s’étaler.