plus cruël de tous les ogres, qui, bien loin d’avoir de la pitié, les dévoroit déjà des yeux, et disoit à sa femme que ce seroient là de friands morceaux, lorsqu’elle leur auroit fait une bonne sausse.
Il alla prendre un grand couteau, et en approchant de ces pauvres enfans, il l’aiguisoit sur une longue pierre qu’il tenoit à sa main gauche. Il en avoit déjà empoigné un, lorsque sa femme luy dit :
« Que voulez-vous faire à l’heure qu’il est ? n’aurez-vous pas assez de temps demain ?
— Tais-toy, reprit l’Ogre, ils en seront plus mortifiez.
— Mais vous avez encore là tant de viande, reprit sa femme : voilà un veau, deux moutons et la moitié d’un cochon !
— Tu as raison, dit l’Ogre, donne-leur bien à souper, affin qu’ils ne maigrissent pas, et va les mener coucher. »
La bonne femme fut ravie de joye, et leur porta bien à souper ; mais ils ne purent manger, tant ils estoient saisis de peur. Pour l’Ogre, il se remit à boire, ravi d’avoir de quoy si bien regaler ses amis. Il but une douzaine de coups de plus qu’à l’ordinaire, ce qui luy donna un peu dans la teste et l’obligea de s’aller coucher.