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l’esprit, lui dit la fée ; mais je puis tout, du côté de la beauté ; et, comme il n’y a rien que je ne veuille faire pour votre satisfaction, je vais lui donner pour don de pouvoir rendre beau ou belle la personne qui lui plaira. »

A mesure que ces deux princesses devinrent grandes, leurs perfections crurent aussi avec elles, et on ne parlait partout que de la beauté de l’aînée et de l’esprit de la cadette. Il est vrai que leurs défauts augmentèrent beaucoup avec l’âge. La cadette enlaidissait à vue d’œil, et l’aînée devenait plus stupide de jour en jour. Ou elle ne répondait rien à ce qu’on lui demandait, ou elle disait une sottise. Elle était avec cela si maladroite, qu’elle n’eût pu ranger quatre porcelaines sur le bord d’une cheminée, sans en casser une ; ni boire un verre d’eau, sans en répandre la moitié sur ses habits.

Quoique la beauté soit un grand avantage, cependant la cadette l’emportait presque toujours sur son aînée, dans toutes les compagnies. D’abord on allait du côté de l’aînée, pour la voir et pour l’admirer ; mais bientôt après on allait à celle qui avait le plus d’esprit, pour lui entendre dire mille choses agréables ; et on était étonné qu’en moins d’un quart d’heure l’aînée n’avait plus personne au près d’elle, et que tout le monde s’était rangé autour de la cadette. L’aînée, quoique fort stupide, le remarqua bien ; et elle eût donné sans regret toute sa beauté pour avoir la moitié de l’esprit de sa sœur. La reine, toute sage qu’elle était, ne pût s’empêcher de lui reprocher plusieurs fois sa bêtise : ce qui pensa faire mourir de douleur cette pauvre princesse.

Un jour qu’elle s’était retirée dans un bois pour y plaindre son malheur, elle vit venir à elle un petit homme fort laid et fort désagréable, mais vêtu très magnifiquement. C’était le jeune prince Riquet à la Houppe, qui avait quitté le royaume de son père, pour la voir et lui parler. Il l’aborde, avec tout le respect et toute la politesse imaginable. Ayant remarqué, après lui avoir fait les compliments ordinaires, qu’elle était fort mélancolique, il lui dit : « Je ne comprends point, madame, comment une personne peut être aussi triste que vous le paraissez ; car, quoique je puisse me vanter d’avoir vu une infinité de personnes, je puis dire que je n’en ai jamais vu dont la distinction approche de la vôtre.