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contractants veulent que leurs sentiments et que leurs volontés civiles, civiques et familiales aient —

Ici Pierre Deloire hésita, parce qu’une aussi longue phrase, et aussi ingrate, retombait sur un verbe monosyllabique. Mais il affectait de ne pas s’arrêter aux difficultés de l’oraison. Il avait prononcé ce ait sur un ton élevé, d’un accent fort, comme s’il dût y appuyer des compléments nombreux. Quand les compléments lui manquèrent, il ne chercha pas d’équilibre qu’en répétant plusieurs fois ait, — ait, — ait, d’un ton descendant et d’un accent décroissant, comme un boiteux qui retombe à petits coups sur la même béquille. Cela fit beaucoup rire mon cousin qui commençait à s’ennuyer sérieusement.

— Nous avons besoin, recommença Pierre Deloire, nous avons besoin d’avoir des comptes rendus officiels. Nous connaissons là exactement ce que les orateurs veulent expressément avoir dit. Un compte rendu est officiel quand on communique aux orateurs la sténographie de leurs discours. Les orateurs lisent, relisent, travaillent selon qu’ils sont plus ou moins négligents, modifient selon qu’ils sont plus ou moins honnêtes. Nous avons ainsi l’expression arrêtée de l’idée ou du sentiment qu’ils ont voulu avoir, une expression en repos, stable, signée, enfin déterminée dans le silence du cabinet, une expression qui vaut acte, une expression encadrée, livresque, notariée, notée, notable, notaire, bibliothécaire, nécropolaire, actuaire, faisant foi, parlementaire, protocolaire, juridique, archivique, référendaire, documentaire, monumentaire, et comme on le dit de M. de Malbrout : morte et enterrée. Selon ce compte rendu M. Émile Vandervelde parle en prose :