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2 ENQUÊTE SUR LA MONARCHIE

mis son point d’honneur à négliger le service de nos frontières pour mieux diviser la nation. Dès 1900, il s’occupait de rouvrir toute sorte de vieilles plaies, éloignait les congrégations religieuses, donnait la chasse à l’enseignement religieux. L’homme infiniment médiocre qui lui servait de président en vint à faire le voyage de Rome tout exprès pour manifester sa rupture avec la papauté, c’est-à -dire avec le corps du catholicisme français. Au moment même où ce dessein fut accompli par la loi de décembre 1905 qui séparait l’Église et l’Etat, on avait pu se rendre compte de ce que le régime des discordes intérieures nous rapportait en politique européenne : le ministre d’État par excellence, celui qui avait la charge des affaires de la République au dehors, venait de tomber du pouvoir sur une menace de l’empereur Guillaume II. Cette « humiliation sans précédent », comme dit un républicain, révéla que pendant quatre ans notre diplomatie avait négocié et traité en l’air et sans souci de notre puissance militaire : durant la même période, le ministère de la Guerre s’était appliqué méthodiquement à désorganiser les armées ! Les deux administrations s’étaient d’abord ignorées l’une l’autre, puis s’étaient mises à travailler en sens contraire : la politique de Dreyfus à la rue Saint-Dominique et la politique de Déroulède au quai d’Orsay, a remarqué fort joliment M. Cochin. Quant aux deux Chambres, nos souveraines légales, tenues tout à fait à l’écart de la « grande politique »[1] le concours le plus dévoué au général ministre qui réduisait toute dépense militaire, semait la méfiance entre les officiers et déconsidérait à plaisir le commandement.

Personne n’est stupide en France. La leçon de cette aventure fut comprise parfaitement, mais, tout comme les précédentes, elle ne put servir de rien. Pendant les trois ou quatre années suivantes, nos vaisseaux ne cessèrent pas de brûler, ou de couler, nos canons d’éclater ou de partir du mauvais côté, et cependant l’on fut sincèrement surpris quand, au début de l’hiver 1908, arriva la nouvelle que nous n’avions plus de marine. En 1898 et 1899, la marine française arrivait immédiatement après l’Angleterre : elle est descendue au-dessous de l’Allemagne, au-dessous des Etats-Unis, serrée de près par le Japon qui l’aura rejointe avant qu’elle ait eu le temps de faire un effort. Cet effort passe nos ressources : — « Nous n’avons plus d’argent à jeter à la mer ».

C’était prévu. Quand l’État veut tout faire en des domaines qui ne

  1. En apprenant la démission de M. Delcassé, un républicain de doctrine, M. Ranc, avait écrit : « Cela lui apprendra à faire de la grande politique ». — Le mot d’« humiliation sans précédent » est de M. André Tardieu, secrétaire d’ambassade, qui dirige la politique étrangère du plus grand organe républicain, le Temps.