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chaîné, et vous ne m’avez pas délivré ; j’ai été torturé, et vous n’avez pas eu pitié de moi ; on a versé mon sang, et vous l’avez laissé couler. »

Ah ! sans doute, vous pourrez répondre comme il vous le suggère Lui-même :

« Et quand donc, Seigneur, vous avons-nous vu dans l’oppression, dans l’esclavage, dans les tortures, dans le sang ? »

Mais il Lui suffira de dire pour vous confondre : « C’est avec les noirs, avec vos noirs, que j’ai souffert et que vous m’avez abandonné. »

Enfin, Mes Très Chers Frères, avez-vous oublié, comme saint Paul vous l’enseigne — c’est la règle de la solidarité chrétienne — que quand un membre souffre dans ce corps immense de l’humanité, tous les autres lui doivent compatir ? Avez-vous le sentiment de la liberté, de la dignité, de la grandeur de notre nature ? ou êtes-vous nés pour accepter que l’on s’endorme sous le joug de l’esclavage ? Peuple de la Belgique, tu es le dernier, ce semble, à qui de semblables questions puissent être adressées ! L’amour de la liberté, la noble fierté humaine, tu les as montrés à toutes les pages de ton histoire, et si tu es aujourd’hui un peuple libre, jouissant de tous les droits de la conscience, tu le dois à l’horreur de la servitude et au sang que tu as versé pour ton indépendance !

Je ne veux donc pas croire que ces sentiments d’indifférence existent dans le cœur d’un seul d’entre vous, lorsqu’il s’agit des souffrances, de la servitude et de la mort de tant de millions d’hommes. C’est donc à vous que je fais appel ; vous avez une voix, roulez-la comme un tonnerre jusqu’à ce qu’elle soit écoutée. C’est à ceux surtout qui parlent tous les jours à leur pays et aux diverses fractions qui le constituent, que je m’adresse en ce moment. Membres de la presse belge, que je suis heureux de voir dans cet auditoire, je sais ce qui, sur d’autres points, vous divise et ce qui sépare de moi plusieurs d’entre vous ; mais ici il ne peut y avoir de divergences, cette cause est de celles sur lesquelles nous sommes tous d’accord, parce que c’est la cause de