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vu vingt esclaves enterrés vivants avec leur maître. Personne ne s’en émouvait. C’est l’usage du pays, disait-on. Il n’est que

    les femmes et les enfants dont nous pouvons payer la rançon. Tout ce que nous avons y passe. Jugez de la joie des élus qui peuvent rentrer dans leurs foyers, mais aussi du désespoir des pauvres malheureux qui ne peuvent participer à la délivrance et qui sont emmenés de force, enchaînés à leurs cangues, au milieu de leurs cris de désespoir ! Oh ! que n’avions-nous de quoi les délivrer tous !

    Lundi, 5 décembre.

    Encore une fois, Dieu soit loué !… Ce matin, à sept heures, les oppresseurs, les meurtriers infâmes de notre paisible population sont partis et nous ont quittés à travers une pluie battante, emportant l’exécration de tous les indigènes. Ils étaient près de trois cents en tout, une troupe comme celles qui viennent de la côte avec tambour et drapeau, portefaix, femmes et enfants, etc… La caravane des esclaves suivait tristement. Une pauvre vieille emmenée en captivité, passant à côté du bon Frère Jérôme, veut s’attacher à ses habits et lui crie de la sauver ; mais il n’y peut rien et elle est entraînée comme une bête de somme, la corde au cou… Il ne restait plus rien pour la racheter… Le défilé a été assez long, l’arrière-garde est restée jusqu’après la pluie ; nous ne leur souhaitons ni adieu ni au revoir. Ces horribles sangsues sont tombées maintenant sur l’Oubembé où on voit de loin s’allumer les incendies.

    Ces tristes expéditions sont de véritables pompes pneumatiques de l’Enfer ; elles font le vide autour de nous, tous les villages où nous allions encore hier faire le catéchisme sont maintenant de vastes déserts.

    Une pauvre femme de celles que les Rouga-Rouga avaient prises, vient de mourir sous nos yeux. Elle s’était débattue en criant lorsqu’on l’avait arrêtée, ne voulant pas se laisser enchaîner ; alors un de ces brigands lui avait déchargé un coup de pistolet dans le sein. Elle tomba mortellement blessée. Elle était enceinte et peu après elle accouchait d’un enfant mort. Elle-même se tordait dans d’atroces douleurs ; nous la primes et l’emportâmes dans le tembé. Elle connaissait déjà un peu la religion, nous lui parlâmes du ciel et du baptême. Elle accepta celui-ci, le reçut et cessa de se plaindre. Elle est morte ! Ô Dieu ! qui nous délivrera de tant d’horreurs !…

    (Lettre de R. P. Moinet, de la Société des missionnaires d’Alger, à Kibanga, près du lac Tanganika.)

    Conférence faite à St-Sulpice par S. E. le Cardinal Lavigerie sur l’esclavage africain. (Pièces justificatives n°2, pages 28, 32.)