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moi-même pour les contrées musulmanes de l’Asie. Mais dans l’intérieur de l’Afrique, dans les territoires dont je parle et qui

    d’hommes oui acquis l’expérience de ce que peuvent supporter leurs victimes. Un coup d’œil leur apprend quels sont ceux qui bientôt succomberont à la fatigue. Alors, pour épargner d’autant la maigre nourriture qu’ils distribuent, ils passent derrière ces malheureux, et d’un coup les abattent. Leurs cadavres restent où ils sont tombés, lorsqu’on ne les suspend pas aux branches des arbres voisins, et c’est prés d’eux que leurs compagnons sont obligés de manger et de dormir.

    Mais quel sommeil ! on peut le deviner sans peine. Parmi les jeunes nègres arrachés par nous à cet enfer et rendus à la liberté, il y en a qui se réveillent, chaque nuit, pendant longtemps encore, en poussant des cris affreux. Ils revoient, dans des cauchemars sanglants, les scènes abominables dont ils ont été les témoins.

    C’est ainsi que l’on marche, quelquefois peu tant des mois entiers, quand l’expédition a été lointaine. La caravane diminue chaque jour. Si, poussés par les maux extrêmes qu’ils endurent, quelques-uns tentent de se révolter ou de fuir, leurs maîtres féroces les frappent du glaive, et les abandonnent ainsi, le long du chemin, attachés l’un à l’autre par leurs cangues. Aussi a-t-on pu dire avec vérité, que, si on perdait la route qui conduit de l’Afrique équatoriale aux villes où se vendent les esclaves, on pourrait la retrouver aisément par les ossements des nègres dont elle est bordée.

    Enfin, on arrive sur le marché, où on confiait ce qui reste de ces pauvres noirs après un tel voyage. Souvent c’est la moitié, le tiers, quelquefois moins encore, de ce qui a été capturé au départ.

    (Conférence faite à Saint-Sulpice par S. E. le cardinal Lavigerie, sur l’esclavage africain, pages 7, 8 et 9.)

    J’ai dit à ce sujet dans mon discours de Londres :

    Écoutez le procédé que les esclavagistes emploient pour les rabattre les esclaves). — C’est un terme impie, mais c’est l’excès même de la cruauté qui force la langue à user pour l’homme des termes jusqu’ici réservés aux fauves ; — c’est du reste l’usage de l’Afrique intérieure : les noirs eux-mêmes, quand ils ont des esclaves, ont adopté les termes des esclavagistes et ne leur donnent pas d’autre nom ; ma bête, moi animal, disent-ils.

    La troupe infernale entoure donc les grandes herbes où les naturels se sont réfugiés et y mettent le feu. L’incendie est vite allumé dans les