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mais elles auraient pu tarir, et en réunissant tout ce sang versé on l’aurait vu, un moment, continuer à rouler les mêmes flots.

Mais ceci n’est encore que le nombre des victimes. Il faut surtout parler de leurs souffrances. Ce que je vais dire est affreux, il est vrai, mais cela est nécessaire. Pour sauver l’Afrique intérieure, il faut soulever enfin la colère du monde.

Inutile de vous parler des horreurs sans nom de la chasse à l’esclave et de la marche des caravanes ; des incendies allumés dans les jungles, pour forcer ceux qui fuient à se livrer aux bourreaux ; de la faim de ceux qu’on laisse de longs jours sans nourriture ; des pieds déchirés, ensanglantés par les marches cruelles, je l’ai déjà décrit, vous pourrez le lire dans mes précédents discours[1].

    Ces misérables m’assurent que plusieurs convois d’esclaves, tout aussi nombreux que celui-ci, sont déjà arrivés à Nyangoué. Cinq expéditions sont venues et reparties avec un butin de captifs et d’ivoire, et ces cinq expéditions ont épuisé et vidé le vaste territoire au milieu duquel nous voyageons. Pour le moins, les brigands ont captivé 10.000 esclaves. Et la moitié de ceux-ci ayant péri en route, il n’en est arrivé à Nyangoué, Kiroundou et Vibondo que 5,000 environ, soit un demi pour cent de la population. Et que de sang versé, que d’existences brisées, pour obtenir ce résultat !

    Dressons cet affreux bilan :

    Dans les 118 villages mentionnés plus haut, les Arabes ont fait 3,000 esclaves. Il leur a fallu tuer, pour cela, 2,500 hommes adultes pour le moins, et, de plus, 1,300 de leurs captifs ont succombé en route au désespoir et à la maladie. Etant donnée cette proportion, la capture des 10,000 esclaves par les cinq expéditions d’Arabes n’a pas coûté la vie à moins de 33,000 personnes !… Et encore, quels esclaves que ceux que je vois là enchaînés, et pour lesquels frères, pères et maris ont répandu leur sang !… De faibles femmes, de tout petits enfants !… Pour jeter dans les fers un garçon de quatre ans, on a sacrifié des familles entières de six personnes !

    (Stanley. Cinq années au Congo. Chapitre XXVI, pages 454-460.)

  1. Voici comment je m’exprimais dans ma conférence faite à Saint-Sulpice.

    Mais ce n’est pas seulement aux individus isolés qu’ils s’attaquent : ils organisent leurs expéditions comme on organise une guerre, tantôt