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de faim que de maladie. Aux larges cicatrices qu’ils portaient sur le dos, on voyait de suite ce qu’ils avaient souffert de mauvais traitements, de la part de leurs maîtres qui, pour les faire marcher, ne leur épargnent pas les distributions de bois vert. D’autres, couchés dans les rues ou à côté de la maison de leur maître, qui ne leur donnait plus de nourriture parce qu’il prévoyait leur mort prochaine, attendaient la fin de leur misérable existence.

« Mais c’est surtout du côté du Tanganika, dans l’espace inculte, couvert de hautes herbes, qui sépare le marché des bords du lac, que nous devions voir toutes les horribles conséquences de cet abominable trafic. Cet espace est le cimetière d’Oujiji, pour mieux dire, la voirie où sont jetés tous les cadavres des esclaves morts ou agonisants. Les hyènes, très abondantes dans le pays, sont chargées de leur sépulture. Un jeune chrétien, qui ne connaissait point encore la ville, voulut s’avancer jusqu’aux bords du lac ; mais, à la vue des nombreux cadavres semés le long du sentier, à moitié dévorés par les hyènes ou les oiseaux de proie, il recula d’épouvante, ne pouvant supporter un spectacle aussi affreux.

« Ayant demandé à un Arabe pourquoi les cadavres étaient aussi nombreux aux environs d’Oujiji, et pourquoi on les laissait aussi près de la ville, il me répondit sur un ton naturel et comme s’il se fût agi de la chose la plus simple du monde : « Autrefois, nous étions habitués à jeter en cet endroit les cadavres de nos esclaves morts, et chaque nuit les hyènes venaient les emporter ; mais cette année le nombre des morts est si considérable, que ces animaux ne suffisent plus à les dévorer, ils se sont dégoûtés de la chair humaine !!! »

Est-ce assez, Mes Très Chers Frères ? Pour exciter votre indignation et votre horreur, oui, sans doute ; mais pour la vérité, il faut davantage. Stanley raconte dans son dernier ouvrage, « Cinq années au Congo », que la première fois qu’il descendit ce fleuve, il y avait autour de Stanley-Falls, un pays grand, dit-il, comme l’Irlande, et peuplé d’un million d’habitants, et quand il y revint peu d’années après, il trouva le pays désert et