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s’il fuit, on a le droit de le faire périr dans d’horribles supplices pour épouvanter les compagnons de son infortune et les détourner de l’imiter.

Ces droits affreux, les bourreaux musulmans et les brigands qu’ils s’associent, les exercent partout où ils sont les plus forts, depuis les pays soumis aux incursions des Touaregs jusqu’aux bords du Nyassa et du Zambèze, maintenant qu’on les a laissés pénétrer jusque là.

C’est ce qu’on vient de voir, dans le Manyéma et dans les trois provinces qui l’entourent. À elles quatre, elles avaient plusieurs millions d’habitants, cinq millions, disent les témoins les plus dignes de foi. Aujourd’hui, sauf ceux qui, en petit nombre, ont pu se cacher dans les jungles et échapper à leurs bourreaux, il n’en reste plus un seul. Je me trompe. On a tué les hommes adultes, on a vendu les femmes, mais on a gardé les enfants, je parle de ceux que les esclavagistes ont jugés propres à les aider dans leur métier infâme. Ceux-là ils les élèvent, les forment à l’usage des armes, au vol, au brigandage, et, par une sorte de rage dénaturée, ce sont les enfants des noirs qui, après avoir vu détruire leurs propres villages, massacrer leurs pères, leurs mères, s’en vont maintenant, au loin, assassiner leurs frères, détruire leurs habitations et leurs cultures et faire des esclaves nouveaux.

Phénomène navrant qui peut à peine paraître explicable. L’audace des musulmans s’est accrue en raison de leurs forfaits. Plus ces forfaits augmentent, plus ils devraient, ce semble, redouter le châtiment ; c’est le contraire qui arrive. Eux qui tremblaient auparavant pour leurs caravanes à esclaves à la seule présence des Européens, ont peu à peu pris courage et c’est sous nos yeux mêmes que la dévastation marche, chaque jour, avec une hâte qui tient de l’ivresse. Eux semblent craindre que leurs victimes ne leur échappent, par quelque résolution des pouvoirs européens, et ils s’empressent de tout anéantir. Dans ces derniers temps, je veux dire depuis près de deux années, la chasse infâme a pris un tel développement que, dans le Haut-