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le peuple du pôle

Je le revois au fin fond des souvenirs de ma toute première enfance vêtu, été comme hiver, d’un costume de velours nankin à grosses côtes, coiffé de larges feutres, guêtré de cuir fauve et portant perpétuellement, en dehors des heures de ses repas et de son sommeil, un fusil en bandouillère. Je ne pense pas qu’il ait jamais connu d’autre plaisir que celui de la chasse, et je ne me rappelle pas l’avoir entendu dire plus de dix mots à la file sur un sujet autre que celui de ses exploits cynégétiques… Tout le long de l’an il parcourait nos domaines et les solitudes sauvages de la montagne, tuant indifféremment les corbeaux et les perdreaux, les renards et les lièvres, les ours et les contrebandiers. Dans les derniers temps, il en tenait pour les contrebandiers plus que pour tout autre gibier et ce fut, à n’en point douter, ce qui causa sa perte : un soir il ne rentra pas au château et on le trouva quelques jours plus tard étendu au bord d’un torrent, le visage à demi dévoré par les corbeaux et la poitrine trouée de deux balles. La vengeance pour s’être fait attendre n’en était pas moins venue. Il faut se méfier du gibier humain.

Ma mère, personne pieuse et timorée, était d’origine modeste et mon père l’avait, dans le temps, épousée par amour ; après ce tragique