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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

exemple, en dehors de leur signification symbolique, ont un caractère sublime, parce qu’elles semblent le disputer aux montagnes de la terre, et qu’elles témoignent ainsi d’une force prodigieuse qui élève notre pensée en remuant notre orgueil ; car si les grandeurs de la création nous humilient par opposition à la faiblesse humaine, la grandeur des œuvres d’art, au contraire, nous enorgueillit par cela même qu’elle nous abaisse, c’est-à-dire que plus les hommes nous paraissent petits, plus alors l’humanité nous paraît grande. En se comparant à l’ouvrage de ses mains, le spectateur se trouve faible et se sent fier tout ensemble.

Que si l’on suppose les pyramides ramenées aux proportions de cinq ou six mètres de hauteur, on conçoit tout de suite que la grandeur perçue par l’esprit va disparaître avec la grandeur vue des yeux, et que l’idée même cachée sous les formes symboliques du triangle et du carré va dépouiller ce qu’elle avait de mystérieux, de redoutable. Est-ce à dire que la grandeur dimensionnelle soit la cause du sublime ? Non, sans doute ; elle n’en est que la condition, et cette condition est elle-même inséparable des deux autres, car bien des monuments peuvent avoir de vastes dimensions sans être pour cela sublimes, si la grandeur matérielle du tout est détruite par la petitesse et le relief des parties, en d’autres termes, si l’effet de grandeur n’est pas énergiquement soutenu par la simplicité des sui-faces, par la rectitude, l’économie et la continuité des lignes.

La simplicité des surfaces. — Le sublime est toujours simple, et cela est vrai dans les arts du dessin comme dans la littérature. Pour frapper un grand coup sur notre imagination, il faut le frapper vite ; plus le coup est inattendu et rapide, plus il est fort. En faisant passer l’esprit par divers détours agréables, en lui ménageant une variété de chemins ornés et fleuris qui le conduisent lentement, doucement au but, on lui procure l’impression du beau ; celle du sublime se produit lorsque brusquement on mène l’esprit au but, en lui faisant franchir d’un bond tout l’espace qui l’en sépare.

L’architecte qui veut exprimer fortement sa pensée l’exprimera donc simplement, c’est-à-dire par une ordonnance facile à saisir, par des moyens simples, par un effet simple. Cette condition est, du reste, inséparable de la grandeur, car si les surfaces manquent de simplicité, si elles sont compliquées de divisions, elles seront par cela même rapetissées. Prenons encore pour exemple les pyramides d’Égypte : si nous supposons leurs surfaces divisées en compartiments par des saillies répétées, l’œil sera naturellement amené à mesurer les surfaces au moyen de ces compartiments, et, s’accrochant aux saillies successives, il aura bientôt raison de la mesure du colosse ; tandis que, si la surface reste