Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
56
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

était née de la première ; que le temple de Dieu avait eu pour modèle rudimentaire la maison de l’homme. Si l’on regarde aux origines, c’est là une erreur profonde. En élevant les constructions colossales qui nous étonnent, les premiers architectes, qui sont des prêtres, veulent éveiller et entretenir le sentiment religieux dans la multitude. Pour cela, ils lui font élever des monuments qui, devant être un obscur emblème de la divinité, reproduiront, dans un modèle idéal, les grands traits de l’architecture naturelle. Tantôt ils imitent le sublime des hautes montagnes en construisant les Pyramides, instar montium eductæ pyramides, dit Tacite, et à ces montagnes artificielles ils donnent une figure symbolique, c’est-à-dire des surfaces dont les membres sont vénérés ou redoutables. Tantôt ils imitent le firmament par des plafonds étoilés, et les cavernes par des labyrinthes souterrains, tantôt ils rappellent les plaines de la mer par de grandes lignes horizontales, les rochers à pic par des tours, et les forêts de la nature par des forêts de colonnes. Quelquefois, comme dans l’ancienne Perse, l’édifice est placé sur une éminence et ouvert par en haut ; il a pour piédestal une montagne et pour toiture le ciel, de sorte que la nature est appelée à concourir aux magnificences de l’art qui veut rivaliser avec elle. Mais, encore une fois, ces monuments n’ont aucune ressemblance voulue avec la cabane rustique ou la tente du pasteur. Ce n’est pas la demeure de l’homme qu’ils imitent dans une héroïque émulation, c’est l’architecture divine.

« Le palais le plus vaste, le plus somptueux, dit Humbert de Superville, dès qu’il sert visiblement d’habitation à l’homme, cesse de s’adresser au sentiment. Les rangées de fenêtres au dehors y accusent le morcellement en étages. Les escaliers qui conduisent au faîte semblent interdire à la pensée de s’y porter. C’est le corps qui s’y traîne de pièce en pièce ; l’imagination y est partout à l’étroit et sans aliment… Point d’architecture possible comme art émulateur, là où l’homme peut s’en expliquer ou s’en appliquer les conceptions. » Le Vatican, l’Escurial, ne renferment qu’un être faible et mortel : les pyramides, les labyrinthes, les pagodes recèlent des pensées secrètes, des sciences non révélées à la foule, des esprits formidables, des spectres gigantesques, des morts.

Plus tard, quand, après la nature, l’humanité sera divinisée à son tour, l’architecte grec pourra sans doute rappeler aux yeux, par une allusion souriante, les éléments de la primitive industrie du constructeur ; il pourra figurer, par une chaumière métamorphosée en temple, l’habitation de l’homme changé en Dieu… Mais quand le genre humain, encore ému des catastrophes qui ont pensé l’engloutir, croit entendre dans le tonnerre la voix de Dieu même, lorsque l’Éternel partout présent n’a pas encore délégué sa puissance aux enfants des hommes, la religion n’est qu’un panthéisme vague, obscur, qui confond le Créateur avec son œuvre. Alors les prêtres cherchent à reproduire les traits les plus impo-