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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

Les trois ordres de l’architecture grecque, le dorique, l’ionique et le corinthien, marquent ces trois évolutions communes à tous les arts. Le premier répond à l’idée d’une simplicité fière et forte, le second au sentiment de la délicatesse et de la grâce, le troisième à une intention de magnificence et de richesse.

Vitruve est malheureusement le seul architecte de l’antiquité dont les écrits soient arrivés jusqu’à nous. C’est de lui que nous avons reçu la notion écrite de l’art grec ; il convient donc de citer ici le texte de cet écrivain touchant l’origine des trois ordres. Ce sera, du reste, une occasion pour le lecteur d’apprécier le goût de Vitruve, de mesurer la portée de son esprit et de pressentir l’influence que ses écrits ont dû avoir sur l’enseignement classique de l’architecture.

« Dorus, fils d’Hellen et de la nymphe Optique, roi d’Achaïe et de tout le Péloponèse, ayant autrefois fait bâtir un temple à Junon dans l’antique cité d’Argos, ce temple se trouva par hasard être de cette manière que nous appelons dorique. Ensuite, dans toutes les autres villes de l’Achaïe, on en fit de ce même ordre, aucune règle n’ayant été encore établie pour les proportions de l’architecture. Plus tard les Athéniens, après avoir consulté l’oracle d’Apollon, par commun accord de toute la Grèce, envoyèrent en Asie treize colonies, chacune ayant son capitaine, sous la conduite générale d’Ion, fils de Xuthus et de Créuse, qu’Apollon, par son oracle rendu à Delphes, avait avoué pour son fils. Entré en Asie, Ion s’empara de toute la Carie et y fonda treize grandes villes… Le pays fut nommé, par les conquérants, Ionie, du nom de leur chef. Des enceintes y furent consacrées aux dieux immortels, et l’on commença d’y bâtir des temples. Le premier fut dédié à Apollon Panionien ; ils le firent à la manière de ceux qu’ils avaient vus en Achaïe, et ils l’appelèrent Dorique, parce qu’il y en avait eu de pareils dans les villes des Doriens. Mais, comme ils ne savaient pas bien quelles proportions il fallait donner aux colonnes de ce temple, ils cherchèrent le moyen de les faire assez fortes pour porter le poids de l’édifice tout en les rendant agréables à la vue. Pour cela ils mesurèrent le pied d’un homme, et, trouvant qu’il était la sixième partie de la hauteur du corps, ils appliquèrent à leurs colonnes cette proportion ; quel que fût le diamètre de la colonne à son pied, ils donnèrent à la tige, y compris le chapiteau, une hauteur égale à six fois ce diamètre. C’est ainsi que la colonne dorique emprunta les proportions, la force et la beauté du corps de l’homme.

« Plus tard, voulant élever un temple à Diane, et cherchant quelque nouvelle manière qui fût belle, ils lui donnèrent la délicatesse du corps de la femme, et ils portèrent la hauteur des colonnes à huit diamètres, afin qu’elles parussent plus sveltes. Ils y ajoutèrent des bases avec des enroulements, à l’imitation des chaussures, et ils taillèrent des volutes