justement le point où une barre de fer plie avant de se rompre sous le
fardeau qu’elle porte. Il est donc naturel que le support prenne un peu
plus de force là où l’imagination le romprait. Mais en exagérant ce qui
est plut(M un besoin de l’esprit qu’une nécessité de la construction, des
architectes éminents, tels que Léon-Baptiste Alberti,
sont allés jusqu’à placer le plus grand diamètre
de la colonne au tiers ou aux trois septièmes
de sa hauteur, de façon que la colonne, franchement
diminuée par le haut et légèrement amincie
par le bas, ressemble à un fuseau dont les
deux pointes seraient abattues ; aussi lui a-t-on
donné le nom de colonne fuselée, et ce nom
exprime fort bien l’excès d’un tel renflement. Vitruve,
qui florissait sous le règne d’Auguste,
quatre siècles après le bel âge de l’architecture
antique, parle de l’entasis comme ayant été placée
par les Romains et par les Grecs eux-mêmes
au milieu de la colonne, et il ajoute : « Une figure
que j’ai dessinée à la fin de mon livre montrera
comment on peut adoucir ce renflement et le
rendre convenable. » Mais cette figure s’étant
perdue, comme toutes celles qui accompagnaient
le texte de Vitruve, des maîtres modernes, Vignole,
François Blondel, Claude Perrault, y ont suppléé
par des moyens ingénieux dont la connaissance technique n’importe
qu’aux praticiens. Le présent ouvrage n’est pas un traité d’architecture
à l’usage des architectes, c’est plutôt une grammaire à l’usage du spectateur
qui examine leurs œuvres.
Que dire maintenant des colonnes torses ? N’est-ce pas le comble de la déraison que de prêter une forme serpentine à ce qui doit être l’image de la solidité ? Donner l’apparence d’une spirale à ce qui représente un support ! la seule idée en est effrayante, car il n’est pas de stabilité possible là où les axes des supports cessent d’être rigides et verticaux. Il suffit même qu’ils cessent de le paraître, pour que les principes soient violés. Aussi l’antiquité n’offre-t-elle aucun exemple de colonnes torses, si ce n’est dans l’art dégénéré et corrompu du Bas-Empire. Les plus anciennes colonnes torses que l’on connaisse et qui existent encore sont celles qui furent cédées par l’exarque de Ravenne, Eutychius, au pape Grégoire III, vers le milieu du viiie siècle. Plus tard, ces colonnes furent imitées, d’abord par Laurent Bernin dans le baldaquin de Saint-Pierre de Rome, érigé sous le pontificat d’Urbain VIII, ensuite par Mansard, aux Invalides. On vit des colonnes colossales serpenter en l’air comme des