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lent, pour ainsi dire, aux regards des heureux et dont la vue serre le cœur de l’observateur attentif. Qui n’a rencontré de ces tristes blessés de la vie ? et qui n’a vu, en attachant sur eux un regard scrutateur, que parfois sur ces visages flétris, on aperçoit des traces de ces tumultueuses émotions de l’âme qui produisent les plus brillantes, de même que les plus funestes destinées ; d’autres fois, à des traces de beauté, on ne peut s’empêcher de dire : — le bonheur a passé par là, — et cependant tout y semble douloureux et de cette douleur poignante que les années rendent sans consolation, parce que le ressentiment et la haine sont les seules émotions qu’elles aient laissées à leur suite.

Pour ces infortunés, la foule où ils sont isolés a des souffrances indicibles. La vue de ceux qui vont ensemble et qui se parlent joyeusement redouble leur tristesse et rend leur isolement intolérable ; aussi cherchent-ils les lieux peu fréquentés. Disséminés dans les endroits solitaires, l’un là, un autre au loin, plus ils sont à plaindre, plus ils craignent de s’approcher de leurs semblables. L’attention de la jeune fille s’était portée sur un de ces pauvres êtres qui marchait lentement devant elle ; c’était une vieille femme à demi courbée, dont le sordide vêtement annonçait une grande pauvreté. Antonia ne put s’empêcher de jeter sur le visage de cette femme un regard de pitié au moment où, passant à