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LES DÉMONIAQUES DANS L’ART.

Cette figure présente les caractères les plus remarquables de la « grande attaque ».

Le cou est gonflé au point que les reliefs musculaires en sont masqués. Ce gonflement n’a rien d’exagéré : nous l’avons observé bien des fois, lel que Rubens Ta représenté. Et il a fallu de la part de ce maître un grand respect de la vérité pour n’en rien atténuer, et pour consentir à cette hideuse déformation des lignes du cou. Mais combien il est récompensé par l’impression d’horreur et de pitié que soulève chez le spectateur cette image réelle d’un état de souffrance porté à son paroxysme !

La face nous présente plusieurs autres signes également caractéristiques ; la bouche est ouverte avec protrusion de la langue, les narines sont dilatées et relevées ; les globes oculaires, convulsés en haut et cachant presque complètement la pupille sous la paupière supérieure. Ce sont autant de signes sur lesquels nous n’avons pas besoin d’insister ici.

Ce n’est pas tout.

Le mouvement des deux membres supérieurs complète le tableau et achève la ressemblance. De la main droite, notre possédée tire à pleine poignée sur une mèche de ses cheveux épars, pendant que la main gauche saisit violemment la chemise pour la déchirer. La robe entr’ouverte, qui retombe sur les hanches, témoigne de la violence des convulsions qui ont précédé et de la fureur qu’a mise l’énergumène à se déchirer elle-même. D’ici peu la chemise aura cédé comme la robe, et la possédée apparaîtra complètement nue, comme il arrive chez certaines malades qui, pendant leur crise, ne sauraient garder aucune entrave : en quelques instants elles ont bientôt mis en pièces tout vêtement ; parfois, elles se lacéreraient le corps, si on ne venait à leur secours.

Il était impossible de dire plus en aussi peu de traits, et de réunir en une même figure plus des signes effrayants qui caractérisent la grande névrose.

Au premier plan, Rubens a placé, dans un raccourci plein de hardiesse, un homme possédé, presque entièrement nu, renversé à terre, et qui, dans une épouvantable convulsion, a brisé les liens dont on l’avait attaché. Cette figure, qui n’existe pas sur le tableau de Gênes, n’est pas moins remarquable que celle que nous venons d’étudier en détail. La tête renversée montre la face affreusement convulsée. Les yeux sont distors, les pupilles convulsées en haut, la bouche est ouverte, les lèvres sont bleues et écumantes.

Ce démoniaque est une figure d’un effet en apparence un peu théâtral, mais qui, pour l’observateur, rend bien le degré inouï de violence que peuvent atteindre les convulsions hystériques chez l’homme. Elles ne sont point, au premier aspect, sans offrir comme un certain degré d’exagération. Les gestes, les mouvements, les attitudes ont une telle force indicative qu’on a peine à se persuader qu’elles soient purement inconscientes, en dehors de toute action de la volonté raisonnée. C’est là ce que le génie de Rubens a pénétré et rendu, avec une netteté dont l’œuvre d’aucun maître ne fournit d’exemple.

Un homme à moitié nu se penche pour relever le malheureux. D’autres personnages s’en approchent avec des sentiments mêlés de curiosité et de pitié. Un vieillard joint les mains et prie en contemplant le saint.