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LES DÉMONIAQUES DANS L’ART.

Rubens avait été élevé par les Jésuites d’Anvers, et il prit un plaisir reconnaissant à travailler pour eux. C’est pour l’église qu’ils avaient fait construire que, en outre de fresques nombreuses, Rubens avait peint plusieurs tableaux importants, entre autres le Saint Ignace actuellement à Vienne, et dont nous parlerons tout à l’heure.

Au même moment, il travaillait pour Gênes.

« Au temps de sa jeunesse, dit M. Mantz, lors des fêtes données au duc de Mantoue, Rubens avait connu plusieurs gentilshommes de la noblesse génoise, entre autres le marquis Niccolo Pallavicini. Il lui avait sans doute fait une promesse. C’est en 1620 seulement que Rubens put tenir sa parole. D’après un document cité par M. Armand Baschet, c’est alors qu’arriva à Gênes le Saint Ignace opérant des miracles, que le marquis fit placer à l’église du Gèsu, aujourd’hui Saint-Ambroise. Ce tableau, qui n’a pas été gravé, est un des plus beaux Rubens qu’on puisse voir en Italie… Dans son voyage, publié en 1758, l’aimable Cochin a parlé avec chaleur du Saint Ignace à Gênes : « À gauche, dit-il, on voit un saint jésuite qui guérit une possédée et ressuscite des enfants. C’est un grand tableau de Rubens ; il est admirable, d’une belle composition distribuée par grandes masses d’ombres et de lumières ; les têtes sont belles, bien rendues et de beau caractère ; belle couleur, belles étoffes. »

Cet avis est aussi celui de M. Armand Baschet, qui résume son impression en ce mot significatif : « Tout est chef-d’œuvre dans cet ouvrage. »

Le groupe qui nous intéresse spécialement occupe le côté droit de la composition. Nous en donnons une reproduction au trait, faite d’après une photographie que nous devons aux bons soins du Dr Toramaso-Tommasi, qui ne l’a obtenue qu’avec beaucoup de peine. La possédée est fortement renversée en arrière, courbée en arc, la tête dans l’extension forcée, les muscles saillants. La face se présente complètement de profil, le globe oculaire est convulsé en bas, la pupille à demi cachée sous la paupière inférieure. La bouche est ouverte. Le membre supérieur droit, dont les muscles sont contractés, lire avec force sur une draperie.

Nous ajouterons que toutes les autres parties de cette figure ne répondent pas strictement, au point de vue de l’observation médicale, aux mouvements pleins de vérité que nous venons de signaler ; le bras gauche est levé dans une attitude sans caractère, et les deux membres inférieurs ne portent aucun signe de convulsion. La démoniaque du tableau de Vienne est de beaucoup supérieure à celle-ci. Nous n’insisterons pas ici sur des différences qui ressortiront de la description que nous entreprenons plus loin. Il y a ici, cependant, un trait qu’il convient de relever parce qu’il n’existe pas aussi accusé sur la démoniaque de Vienne : c’est le renversement très exagéré en arrière, qui rappelle très exactement la contorsion désignée chez nos malades sous le nom « d’arc de cercle ».

La possédée est maintenue par deux hommes, dont l’un lui soutient la taille, pendant que l’autre lui saisit le bras gauche. Derrière ce groupe, un personnage lève les bras en joignant les mains pour demander au ciel le miracle.