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LES DÉMONIAQUES DANS L’ART.


parait sous le coup de la crise, les signes de convulsions sont fantaisistes et contradictoires. Malgré la distorsion des globes oculaires, cette physionomie n’est point celle d’un sujet en état de crise. La bouche grande ouverte semble laisser échapper de grands cris lesquels seraient en opposition avec l’état de spasme généralisé, dont la raideur qui envahit les membres supérieurs tend à établir l’existence. D’ailleurs, cette convulsion elle-même n’a rien de naturel. Le bras droit est levé verticalement, la main dans une pose académique mais sans caractère. Le bras gauche est abaissé, tous les muscles se dessinent en saillies violentes, le poignet est étendu, les doigts sont écartés et en extension forcée. Parmi les attitudes imprimées à un membre par le processus convulsif des attaques, et susceptibles de varier de mille façons, ainsi qu’on peut le voir dans d’autres ouvrages [1] celle qui a été représentée par Raphaël est peut-être la seule que l’on n’ait jamais l’occasion d’observer. On sait que l’attitude de la main la plus fréquente, lorsque l’avant-bras est étendu, consiste dans la flexion forcée du poignet et des doigts avec pronation exagérée.

Enfin le jeune malade se tient d’aplomb et ferme sur les jambes. Il marche fort correctement, si bien que, vu le désordre de la partie supérieure du corps, les membres inférieurs ne paraissent pas appartenir au même individu.

Il semble donc que dans cette seule figure Raphaël se soit laissé aller à accumuler les invraisemblances et les contradictions.

Cependant, ce tableau devait avoir été l’objet de soins particuliers de la part du maître. Le cardinal Jules de Médicis, qui l’avait commandé à Raphaël, avait fait la commande du même sujet à Sébastien de Venise. Les deux tableaux étaient destinés à la cathédrale de Narbonne. Et, au dire de M. Eugène Müntz, les contemporains avaient vu, dans ce choix du cardinal, le désir de mettre aux prises les deux représentants les plus éminents que la peinture comptât à Rome.

D’ailleurs, de nombreux dessins, conservés dans les collections de l’Angleterre et du continent, témoignent du soin que Raphaël apporta à la composition de chaque groupe, de chaque figure.

Nous signalerons plus particulièrement, au point de vue qui nous occupe, son dessin à la plume de la collection Albertine, à Vienne, lequel représente la composition dans son ensemble, avec tous les personnages complètement nus. Un autre dessin au crayon, à la bibliothèque Ambrosienne, à Milan, est une étude de nu très consciencieuse du jeune lunatique et du personnage qui le soutient (c’est de ce dernier dessin que nous donnons ici la reproduction). Ce groupe n’a donc pas été de la part de Raphaël l’objet d’une moindre perfection. Nous ajouterons même que cette figure du jeune possédé a, dans le tableau, une importance capitale, puisqu’elle est le centre de l’action incidente qui occupe toute la partie inférieure, et que les atti-

  1. Leçons sur les Maladies du système nerveux, par J.-M. Charcot. Tome II, p. 343. Paris, 1880. Études cliniques sur la Grande hystérie ou hystéro-épilepsie, par Paul Richer. Seconde édition. Paris, 1885.