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LA CRISE

vos études philosophiques et théologiques élaguera sans peine les frondaisons parasites de votre riche nature. Au sortir de ces années sérieuses, votre apostolat ne pourra que se ressentir de vos dispositions actuelles. Quel que soit le poste qui vous sera confié, vous écrirez un magnifique poème ; si votre plume s’y refuse, votre activité extérieure y suppléera. L’histoire canadienne est une épopée, comme le dit notre chant national, et vous y prendrez place. Courage, Jean, l’avenir est à vous et à ceux qui vous ressemblent ! Maintenant que nous nous connaissons si bien, vous trouverez toujours dans votre vieux Collège des amis prêts à vous ouvrir les bras, chaque fois qu’ils auront le bonheur de vous revoir ! »

Jean Bélanger venait d’entendre la dernière leçon de son cher professeur de rhétorique : ces quelques paroles laissent supposer ce qu’avaient été les précédentes. Le collégien s’était trouvé à trop bonne école, il était trop intelligent, trop artiste, trop vertueux, pour ne pas en avoir tiré le plus large profit.


XI


La soutane est prête, ainsi que tous les accessoires ; on admire le surplis éclatant de blancheur, confectionné par Thérèse. Alice a suivi les exercices d’une pieuse retraite à la Villa-Maria ; elle a compris son devoir, à la suite d’émouvantes entrevues avec le Père Francœur, dont le zèle est inlassable auprès de la jeunesse féminine comme dans le camp masculin : « Si Jean était resté dans le monde et m’avait abandonnée, a déclaré Alice, j’aurais été inconsolable ; mais je n’ai pas la témérité de le ravir à Dieu. Nous demeurerons bons amis, comme dans notre première enfance ; ses prières me porteront bonheur. »

Un amour capable de se transformer ainsi en amitié n’existe qu’en des cœurs pétris de christianisme ; cette remarque s’impose, une fois encore, avant d’assister au dénoûment d’une crise qui s’était apaisée, sans produire d’autre catastrophe que des blessures guéries par un baume tout divin ; un pareil amour n’est-il pas le seul qui mérite son nom ? Ont-ils jamais aimé, ceux qui entretiennent d’égoïstes convoitises ? Les passions avides de haine, de carnage et de sang méritent-elles l’apothéose où se complaisent les écrivains et les lecteurs épris d’épicuréisme, vingt-deux siècles après la disparition d’Épicure ? Cette régression vers les âges païens mérite la réprobation de tous les partisans du spiritualisme artistique et moral ; les profanateurs de l’amour n’ont pas qualité pour faire la théorie de ce sentiment, et encore moins pour imposer à d’autres leur psychologie tronquée et spécieuse. Ceux qui revendiquent le droit de donner des ailes à la jeunesse, de la faire planer dans les régions de l’idéal, ne s’en laisseront pas imposer par les matérialistes systématiquement férus d’une sensuelle physiologie.

Jean Bélanger, sorti vainqueur des combats dont le sacerdoce était le prix, n’avait plus maintenant qu’à faire la dernière visite qu’il avait promise, et qui n’était pas la moins attendue : dès son retour de Laval-des-Rapides, il avait répondu à la lettre si touchante qui l’avait affermi dans ses généreuses dispositions ; quelques jours avant son entrée au Séminaire, il se rendit avec sa sœur Thérèse au Carmel de Montréal. Minute pathétique, que celle où la jeune postulante apparut derrière la clôture ! Elle était déjà revêtue d’une livrée austère. Pâle d’émotion, elle laissait modestement les yeux. Se rendant compte que Jean refoulait un sanglot sans pouvoir proférer une parole, elle rompit la première le silence :

— Vous voyez, dit-elle, combien le Seigneur est bon ! Il nous a conduits par la main depuis le jour où nous avons entendu sa voix. Jean, ajouta-t-elle, avez-vous quelque chose à regretter, en ces ineffables instants ?

— Il n’est pas défendu, répondit le jeune homme, de sentir profondément la rupture des derniers liens qui nous rattachaient à la terre : la mort anticipée que nous acceptons ici tous les trois est un gage de vie meilleure ; vous avez su me le faire comprendre, petite Sœur déjà abîmée en Dieu. Je souhaite que mon courage ne soit pas trop inférieur à votre sublime héroïsme… Quel sera désormais votre nom ?

— Je m’appellerai Sœur Madeleine de la Miséricorde, quand sonnera l’heure des engagements plus solennels ; je suis heureuse de porter, par avance ce nom symbolique.

— Sœur Madeleine, dit Thérèse, vous occuperez désormais une large place dans notre famille : vous y avez joué un rôle providentiel et vous continuerez à y exercer de loin une surnaturelle influence. Puissions-nous venir, les uns et les autres, puiser auprès de vous la ferveur qui doit nous animer… Quel recueillement, quel silence, quelle paix céleste dans cet asile ! Ici, vraiment, on se sent avec Dieu !

— Oui, répondit la sainte enfant : c’est le