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FLEUR LOINTAINE

tarrhe. Paul Demers sortait sain et sauf de ce dernier mauvais rêve !

« Bravo ! s’écria le Docteur David, et vive l’air canadien ! Mais n’oubliez pas ce que je vous ai dit l’été dernier. Pas de climat trop humide ! Si vous ne deviez partir sous peu, je vous expédierais en Saskatchewan. Mariez-vous en toute sécurité… L’amour est aussi un grand guérisseur, quand on y joint une bonne alimentation et l’atmosphère que vous reviendrez respirer, après avoir promené vos tendresses à travers la France. »

 

C’était enfin l’aurore du jour si longtemps attendu ! Le soleil brillait, d’une semaine à l’autre, d’un plus vif éclat. Quelques oiseaux migrateurs, un peu téméraires, devançaient le printemps. Dans les bois, les érables commençaient à distiller le sucre. La famille Desautels était fidèle, chaque année, à la fête de la cabane où l’on déguste, en pleine forêt, la primeur de ce liquide que l’on commence par faire bouillir sur un réchaud improvisé ; quand la liqueur devient gluante, les amateurs découpent des tiges de bois vert, les aplatissent, et trempent ces cuillères originales dans l’écume qui bouillonne à la surface de la marmite ; délicieusement, on liche la palette : ce n’est qu’un stimulant d’appétit : viennent ensuite, les œufs, la saucisse grillée. les tranches de bacon, le tout assaisonné avec le fameux sucre.

La fête eut lieu dans les environs de St-Hermas où s’étendent de belles forêts d’érables ; les propriétaires, amis de la famille Desautels, avaient conduit tout ce beau monde à la cabane. Yvonne, en riant, dérobait souvent la palette de Paul, et lui faisait licher la sienne, comme pour affirmer la vie commune qui allait commencer. « Vous avez raison, mes jouvenceaux, disait le paysan ; en mariage, faut souvent manger dans la même écuelle ! »

— « C’est correct ! » répétaient en chœur les autres habitants.

 

Ces plaisirs champêtres furent suivis de la station quadragésimale prêchée à Notre-Dame, tous les ans, par un prédicateur en renom venu de Paris. Au cours de ses sermons, où se pressait toute l’élite montréalaise, l’orateur traita le sujet du Mariage : « Les époux, disait-il sont les artisans de leur bonheur, avec l’aide de Dieu ; la félicité ne vient pas du hasard, des rencontres fortuites, des coups de foudre, des passions prétendues éternelles ; la félicité vient du cœur, quand ce cœur est noble et pur. » Cette doctrine était celle d’Yvonne et de Paul, qui se trouvaient au pied de la chaire.

 

La date du mariage fut fixée au 10 avril ; le premier des grands transatlantiques était annoncé pour le 5 et devait repartir le 10, vers midi : c’était le Minnedosa, du Pacifique Canadien, vaisseau dont le tonnage permet l’accès à Montréal, tandis que les gros Empress s’arrêtent à Québec. Le chenal se dégageait, les derniers monceaux des glaces flottantes étaient entraînés vers l’embouchure du St-Laurent. Paul avait retenu une cabine de première classe, depuis près de deux mois.

Le mariage fut célébré très simplement, à l’église paroissiale de l’immaculée Conception. Il y eut des fleurs, des chants, mais rien ne rappelait l’apparat des cérémonies qui se déroulent en semblables occasions dans les Églises parisiennes. Au Canada, dans les campagnes, le repas de noces se fait à la maison, festin semblable à celui qui avait eu lieu à Ste-Agathe, à l’occasion des fiançailles. En ville, la famille réunie offre aux invités un vin d’honneur, et les jeunes époux partent aussitôt vers les régions enchanteresses.

Il en fut ainsi pour Yvonne et Paul. En costume de ville, ils étaient allés demander à Dieu, au pied de l’autel, la grâce de s’aimer éternellement en accomplissant leur devoir. Après le vin d’honneur, ils étaient prêts à partir ; les malles étaient déjà embarquées, les automobiles enrubannées cornaient à tue-tête, selon la mode établie, pour annoncer l’instant solennel où la jeune épousée franchit le seuil de sa demeure.

Le joyeux convoi se dirigea sur les quais. Paul et Yvonne embrassèrent avec effusion chaque membre de la grande famille. Il y eut des larmes, mais c’étaient des larmes de bonheur : les deux Frances étaient unies, la fleur lointaine allait s’épanouir, pour quelques mois, sur le sol des premiers aïeux.

FIN.