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FLEUR LOINTAINE

te pimpante, s’avança vers sa sœur avec un énorme bouquet enrubanné : une banderole portait ces mots : « Aux deux Frances indissolublement unies ! » Paul Demers se rendit alors de l’autre côté de la table, et, après avoir embrassé Bébé, il ouvrit un écrin où brillait l’anneau des fiançailles : un rubis enchâssé dans l’or était orné d’une fine ciselure découpée en forme de lys. Doucement, l’heureux jeune homme passa la bague au doigt de sa fiancée, et déposa sur ce front si pur le premier baiser qui symbolisait l’alliance de deux pays.

« La vieille France blessée, dit le père Boivert en levant son verre, est tombée en amour avec la Nouvelle qui se porte bien. On ne les séparera pas en tout dans l’avenir ! » Les cœurs simples ont le secret des mots dont l’éloquence tient lieu des plus belles harangues…

X


Après cette solennité intime, Paul Demers se sentait un homme nouveau. Déjà bien en forme, il décida d’entrer à fond dans son rôle d’agent de liaison agricole entre le Canada et la France. Il voulait se rendre compte par lui-même des richesses qu’il avait entrevues. Après avoir visité la ferme expérimentale du Gouvernement d’Ottawa, il ferait un crochet vers l’Abitibi et le Témiscamingue, pays de colonisation récemment exploités. Puis, se dirigeant vers le Sud, il parcourrait la région des Grands Lacs, s’arrêterait aux Chutes du Niagara, et étudierait les vergers immenses de la région de Toronto et de Buffalo. La Société des Agriculteurs de France lui avait recommandé de choisir des plants robustes de pêchers, d’abricotiers, de noyers : ces arbres, lui avait-on dit, étaient rongés par des microbes tenaces sur les terres du midi de la France, comme autrefois la vigne. Les mûriers, dont la feuille sert à l’élevage des vers à soie, y disparaissaient d’une année à l’autre : nouvel Olivier de Serres, il tenterait de découvrir une variété moins délicate, soit par lui-même, soit par d’autres voyageurs de l’Océan Pacifique. Il s’agissait de tenter l’expérience qui avait si bien réussi en viticulture, quarante ans plus tôt. L’analyse comparée des divers terrains d’Amérique et de France donnerait sans doute l’indication voulue, pour éviter d’inutiles tâtonnements dans la répartition des pépinières.

Le jeune et vaillant agronome avait l’intention d’étendre son champ d’action jusqu’au Manitoba et à la Saskatchewan où se fait en grand la culture des céréales. Enfin, il se proposait d’explorer les vastes forêts de l’Ouest Canadien, jusqu’aux montagnes Rocheuses. Il fallait entreprendre ce voyage avant l’approche de l’hiver.

Un soir qu’il s’en entretenait avec toute la famille assemblée, Robert lui dit : « Ce ne serait pas gentil de notre part, que de te laisser partir pour plusieurs semaines sans t’accompagner jusqu’à deux ou trois cents milles. Voici ce que je propose : la rentrée des classes approche pour les écoliers et écolières ; nous prendrons nos dispositions pour la reprise des cours, et nous ferons ensuite, à trois ou à quatre, une bonne excursion en automobile, par Ottawa jusqu’aux Grands Lacs. Tu modifieras la première partie de ton itinéraire, ajournant la visite de l’Abitibi et du Témiscamingue où tu pourras te rendre après ton travail dans la région de Toronto. Tu n’as pas de temps à perdre : l’automne est souvent court dans notre pays et tu serais surpris par les premières neiges. Qui veut être de la partie ? »

Yvonne donna son acquiescement sans hésiter ; Madame Robert Desautels fit de même. Charles-Édouard et Ferdinand acceptèrent de suivre les voyageurs jusqu’à Ottawa, où des affaires les appelaient. « La voiture est maintenant au complet, dit Robert. Préparez-vous, nous partons dans trois jours ! » Pour Yvonne, cette agréable excursion allait être le voyage des fiançailles, en attendant le voyage de noces ! Dans ses sorties, elle n’avait pas encore dépassé la capitale de la Fédération Canadienne. Aurore fit un caprice, disant qu’elle voulait voir d’autres pays que Ste-Agathe. Mais on lui fit entendre que c’était remis à plus tard.

Trois jours après, l’automobile filait à toute vitesse dans la direction d’Ottawa, ville essentiellement administrative, dont le Gouvernement fédéral et les dépendances forment la plus grande partie. On arriva bien avant midi. En quelques heures. Paul Demers avait pu voir la Chambre des Communes, avec sa flèche gothique, ainsi que les luxueuses avenues de la ville : un tour aux environs, à travers les allées d’arbres qui conduisent à Eastview, et les voyageurs