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FLEUR LOINTAINE

Yvonne se taisait maintenant ; des impressions délicieuses l’envahissaient en écoutant ces premières paroles prononcées d’une voix mâle et prenante. Elle cessait d’être la petite camarade d’hier : elle n’avait qu’à écouter les solennelles confidences avant d’y répondre.

« Commençons d’abord par dissiper toute équivoque, continua Paul. En vous parlant au téléphone, le lendemain du jour où je vous avais fait involontairement souffrir, je vous ai promis que vous sauriez tout : c’est l’heure de remplir mes engagements.

« Je ne voulais pas vous aimer, petite Yvonne, avant d’avoir chassé les obsédantes préoccupations qui vous sont aujourd’hui connues, sur les ravages produits dans mon organisme par les gaz perfides ; il y a des blessures glorieuses que l’on peut présenter avec orgueil, et qui n’ont pas de suite fatale ; j’avais été atteint, moi, par ces armes nouvelles qui lancent leurs poisons jusqu’aux profondeurs de l’être humain, pour le laisser ensuite traîner une existence lamentable jusqu’au dépérissement final. Aurais-je osé, dans ces conditions, faire des tentatives en vue de gagner votre cœur et de lier votre destinée à la mienne ? Sans doute, le besoin de consoler, qui est l’un des plus nobles instincts de la nature féminine, vous attirait vers moi, et vous eût décidée à me sacrifier tout votre avenir ; mais je me serais cru téméraire de partager vos vues. Il y a des dévouements qu’un homme d’honneur ne saurait accepter de prime-abord ; s’il sent sa vie menacée, c’est déjà trop qu’il soit lui-même exposé à disparaître ; son propre malheur ne doit pas entraîner des deuils inutiles.

J’en étais là, Yvonne, lorsque la présence fortuite d’une fille que vous détestiez à bon droit a mis le paroxysme à votre tendresse, et vous a fait clamer un amour que je partageais. Alors, écrasé sous le poids de mes responsabilités, j’ai voulu fuir pour m’y soustraire. Oui, je me suis enfui, la conscience bourrelée de remords ; je me suis senti coupable ; jamais je n’avais éprouvé un pareil sentiment d’aversion à l’égard de moi-même. J’ai maudit des complaisances que je trouvais criminelles. J’ai voulu chercher la solitude, l’abandon, pour réparer ce qui était peut-être encore réparable. Il le fallait ! Je vous ai laissée dans votre anéantissement, avec l’espoir que vous seriez encore capable de m’oublier !…

— « Noble cœur ! » murmura Yvonne. Et, pendant que sa tête blonde s’appuyait sur l’épaule du grand ami, de grosses larmes inondaient ses yeux.

« Vous n’étiez nullement coupable. Paul, dit-elle après un moment. J’avais assumé toute la responsabilité de ma conduite antérieure ; j’étais parfaitement au courant de votre état.

— Mais un jeune homme raisonnable ne doit pas favoriser un pareil jeu, lorsqu’il se trouve en présence d’une jeune fille candide comme vous. Qu’aurait pensé votre famille, si ma santé n’avait pas répondu, plus tard, à vos espoirs optimistes ?

— Vous êtes sage, Paul ; vous étiez demeuré plus sage que moi. Mais, n’en parlons plus, puisque la Providence s’est prononcée.

— Oui, Dieu est bon : le Ciel n’a pas voulu vous infliger un démenti. Mais il ne faut rien laisser à l’imprévu : vous savez que les garanties sur mon compte ne seront définitives que dans quelques mois.

— C’est vrai. Mais nous portons tous en nous les risques communs de maladies, d’accidents, même de mort. S’il fallait s’arrêter à ces perspectives, qui donc oserait faire un pas en avant, dans les affaires d’importance ? Je ne suis pas plus à l’abri que vous des menaces suspendues sur la tête de toute créature humaine. Sachons faire confiance à l’infinie Bonté qui veille sur nous. Quelque chose me dit, dans mes prières, que vous êtes hors de tout péril. Mieux que cela ! Je demeure convaincue que j’ai pour mission de vous donner assez de joie, assez de bonheur, pour hâter le moment où les forces vous seront pleinement rendues.

— Yvonne bien-aimée, ma sainte maman ne cessait de répéter cette sentence : « Il est souvent plus difficile de connaître son devoir que de l’accomplir. » Mon devoir, j’ai cherché à le connaître ; j’y ai mis toute mon obstination. Aujourd’hui, nous venons de l’apercevoir dans toute son évidence. Il est tout tracé pour moi, Yvonne mille fois chérie. Si vous voulez me rendre heureux, moi aussi, je veux assurer votre bonheur ; je m’y emploierai avec toutes mes énergies…

— Vous vous rappelez, mon Paul, ce passage de l’Histoire Sainte où il est dit qu’Isaac ressentit tant d’amour pour Rébecca, qu’il fut consolé de ses deuils ? Je