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FLEUR LOINTAINE

déclaré le Docteur David ; et la nature agira d’autant plus efficacement que le physique sera soutenu par le moral. Au lieu d’anémier ton cœur par des demi-déclarations, par de subtiles mièvreries, avance-toi sans détour ! Goûte un peu aux réconfortantes tendresses qui t’ont manqué jusqu’ici ! Secoue la poussière de tes livres, respire le grand air, l’atmosphère vivifiante d’un amour sans contrainte ! La place est conquise d’avance, tu n’as qu’à y pénétrer en vainqueur !

— Je le crois bien, depuis l’entrevue de cet avant-midi. Le hasard a voulu que je rencontre Yvonne dans le bosquet le plus proche ; elle a parlé comme toi, en termes équivalents ! La discussion prouve qu’elle m’accepte tel que je suis, et non tel que je voudrais être.

— Je m’en doutais bien. Je passais près de Maman, là-haut, dans les chambres, pour réparer une armoire dont un panneau était disjoint. Elle m’a appelé à la dérobée et m’a montré le couple qui se prélassait sur l’herbe, dans la clairière. Elle avait du bonheur plein les yeux, notre bonne Maman ! Depuis des mois que les hésitations d’Yvonne entre le couvent et le monde la tourmentaient !…

« Avec ma sœur, mon cher Paul, vous êtes deux raffinés qui ne procédez pas comme tout le monde. Sapristi ! en faut-il, des manières, pour tomber d’accord, quand on n’a que le désir de s’entendre ! Mais ça vous passera à l’un comme à l’autre. Quand vous vous serez dit sans mots savants que vous voulez être unis pour toujours, tout marchera comme sur des roulettes, jusqu’au pied de l’autel.

— Alors, tu crois que je puis au moins me fiancer !…

— Si tu préfères prolonger de quelques mois le doux rêve, te livrer à la poésie, aux ballades sentimentales, tu peux différer la cérémonie finale, en effet. Tel que je te connais, tu aimes à faire durer le plaisir. Les préliminaires du roman sont terminés ; maintenant, il s’agit d’en déguster les moindres incidents, de boire goutte à goutte la coupe enchanteresse… Moi, je suis plus positif. Mes fiançailles se sont presque confondus avec mon mariage. Mais l’humanité contient toutes les variétés d’individus. Yvonne ne sera pas fâchée de s’entendre dire des belles paroles, sans plus.

« C’est étonnant ce qu’elle est artiste cette mignonne ! Elle n’aime que les belles choses, elle embellit tout ce qu’elle touche ! Vous ferez tous les deux un couple parfait. Je serai fier, mon Paul, de t’avoir pour beau-frère. On s’était trop connus, là-bas, dans la grande fournaise, pour ne pas se retrouver… Vois-tu cher et grand ami, je suis le contraire d’un émotif ; mais, de me voir à la veille d’être plus que ton ami, ça me remue tout entier, et je sens que l’eau me remonte du cœur aux yeux…

— Nous verrons tes parents, ce soir après souper, dit Paul Demers tout troublé d’émotion, tout débordant de reconnaissance. En serrant fortement la main de Robert, il ajouta : « J’irai demain à Montréal, acheter la bague des fiançailles. »

VIII


Huit jours plus tard, Yvonne et Paul se rencontraient à nouveau dans la clairière propice aux importantes entrevues ; mais, cette fois, le hasard n’y était pour rien : un rendez-vous avait été fixé dès le matin pour les ultimes explications. Du reste, le temps n’était plus, où la jeune fille avait dû faire des avances habiles et user de termes voilés, pour essayer d’ouvrir le cœur ami qui se refermait sans cesse, et qui refoulait en lui-même les mots prêts à jaillir depuis plusieurs mois : c’était Paul qui avait prié Yvonne de lui accorder cet entretien.

Il était trois heures de l’après-midi : l’ombre tutélaire des érables protégeait le jeune couple contre le soleil ardent de la fin d’août ; toute la nature semblait alanguie par la chaleur des jours précédents ; une échappée à travers les branches du fourré voisin laissait voir les pentes irrégulières par où serpente la route de Ste-Agathe à Montréal. Ils prirent place tous les deux dans ce nid de verdure, où les hautes herbes penchaient leurs tiges comme pour les inviter à s’asseoir ; cette calme journée formait un décor à souhait et semblait signifier le repos qui régnait enfin dans ces deux âmes, après les luttes intimes qui avaient été parfois si violentes.

« Ma douce Yvonne, commença Paul Demers, ce n’est plus à vous de venir à ma rencontre, comme vous l’avez fait jusqu’ici avec une admirable discrétion. Je puis enfin vous parler sans réticence et vous rendre à votre rôle de jeune fille recherchée, poursuivie, tendrement aimée par l’homme qui ne pouvait vous le dire avant ce jour. »